Quelle est votre définition de la fenêtre ?
Une fenêtre... je dirais que c'est une parenthèse. Une parenthèse temporelle, une parenthèse spatiale. Un corps physique contraignant la direction du regard dans une seule direction. Ou bien encore le temps inclu entre deux instants. Communément certes, la fenêtre est l'objet de la relation entre l'intérieur et l'extérieur, par lequel seuls passent les éléments impalpables : le regard, le vent, la lumière. Il me revient une phrase du spectacle La Madeleine Proust ; une vieille paysanne qui s'étonne des folies du monde moderne s'exclame : « il paraît que maintenant, les météorologues ont des outils qui savent prévoir le temps qu'il fait à l'instant ! Ben on l'avait déjà nous cet outil, ça s'appelle la fenêtre ! »
Quel usage faites-vous de la fenêtre ? Est-ce un sujet ? Un outil ? Un trompe-l'œil ?
Prendre une photo, c'est faire le choix de la fenêtre par laquelle on souhaite que les gens regardent. Le cadre devient un outil qui oriente la lecture du monde. Dans mon travail, elle n'est pas un sujet, même si elle peut en faire partie puisque mes thématiques tournent souvent autour de la ville et de l'architecture. Aujourd'hui, dans mes travaux personnels du moins, je travaille à la chambre 4x5''. Avec cet outil, le cadrage est extrêmement précis et se fait sur un verre de visée de 12,5 × 10 cm. C'est réellement et matériellement une fenêtre. Sauf que l'image que j'y vois est inversée par les lois de l'optique. J'y vois le monde à l'envers stricto sensu.
Cela demande un effort supplémentaire dans le choix que je vais faire de la fenêtre par laquelle je veux montrer les choses. Je ne dirais pas qu'elle est un trompe-l'œil, mais elle ne fabrique pas non plus de l'objectivité absolue car elle est issue d'un choix personnel. En tout cas, elle ne l'est pas dans ma photographie car je ne fais pas de journalisme ; activité dans laquelle le choix de la fenêtre peut selon les cas ouvrir l'œil comme le tromper.
Que voyez-vous depuis les fenêtres de chez vous ?
Je vis dans une maison à triple orientation. Un luxe ! Et le paysage étant très dégagé, je vois le levant et le couchant. À l'est, je vois mon petit jardin, à l'ouest, ma cour et son cerisier, et depuis l'étage, des campements de caravanes et des champs de maraîchage, et ce à 3 km de Paris, dans les murs à pêches de Montreuil. Au sud, une fenêtre donne sur un cerisier, l'autre sur un olivier. Un fatras de fils électriques vient griffer un peu tout çà. Et les choses sont ainsi faites que je n'ai pas de vis-à-vis, ni de vue sur les passants, sauf un peu à l'étage, mais je les domine donc tout va bien.
Quelle est la plus belle fenêtre par laquelle vous avez regardé ? Et qu'avez-vous vu ?
S'il s'agit de la beauté de l'objet, je me souviens de quelques fenêtres indiennes ou népalaises, admirablement sculptées dans des bois nobles, loin de la fenêtre standardisée en PVC blanc qui défigurent nos villes et nos campagnes. Moi président, je les interdirais sans complexe. Quant à la vue, il y en a tant ! Mon métier me fait voyager, alors beaucoup d'images me viennent à l'esprit. Je mentionnerais la fenêtre d'une ferme dans les hauteurs de l'Himalaya, avec vue sur la chaîne des Annapurna, et les rizières en terrasses. Ou bien plus récemment, dans le cercle polaire arctique, une ancienne cabane de pêcheurs transformée en chambre d'hôte et dont la fenêtre donnait sur une rivière gelée dans un décor d'une blancheur immaculée.
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