En 2017, vous livriez avec Céline Pelcé un loft surprenant, où portes coulissantes incurvées côtoyaient chambres en vitrines. Aujourd'hui, vous nous faites découvrir, avec Clément Platret, la rénovation d'un pavillon ouvrier dans lequel circulations courbes, motifs et couleurs ont la part belle. Concevoir des projets aussi singuliers, c'est un crédo ?
Cette singularité découle surtout de l'importance que représente pour moi la proposition d'une expérience, qui passe, je pense, par l'écriture d'une certaine narration, autour du mouvement, dans le projet. C'est aussi pour cette raison que j'ai diversifié ma pratique et que je ne fais plus seulement de l'architecture d'intérieur : le plus souvent, les personnes qui cherchent à rénover leur appartement n'ont pas le temps de se plonger dans l'écriture d'une histoire. À l'inverse, avec certains maîtres d'ouvrage, c'est parfois très facile. Dans le cas du pavillon des Hauts-de-Seine, les clients, ultra dynamiques, avait un univers bien à eux, hyper marqué, comme en témoignait leur précédent appartement. Qui plus est, ils nous ont laissés très libres ; quand ils avaient quelque chose à redire sur nos propositions, c'était pour nous dire : « Non, il faut aller plus loin encore »
Et concrètement, comment s'exprime cette narration ?
Par des couleurs, des motifs, par le fait de susciter la surprise aussi, pourquoi pas en dissimulant une porte. En fait, cela consiste à exprimer un certain dynamisme : en proposant des parcours, des déambulations différentes, ou encore à travers le détournement, en faisant par exemple appel à un produit initialement destiné à un autre usage, comme un papier peint dans une salle de bains. Dans ce cas, il faut s'accorder avec les clients sur le fait que l'on va s'éloigner de ce qui est normalement réalisable, puis collaborer avec les artisans pour voir comment, techniquement, on va rendre possible le détournement.
Une part de la conception a donc lieu directement sur chantier ?
Bien sûr ! Depuis que je pratique l'architecture, j'ai toujours fait en sorte d'être très présent sur les chantiers, car je pense que beaucoup de détails sont difficiles à concevoir ailleurs que sur place. Et puis il y a toujours des surprises, comme en phase de démolition, donc des dessins à reprendre ; redessiner les dits détails puis les renvoyer aux entreprises, ce n'est pas pour moi. Je préfère être sur place, avec les artisans, pour identifier le problème et trouver ensemble une solution. La collaboration et la dimension artisanale, c'est ce qui me plaît le plus !
D'ailleurs, il m'arrive d'exécuter moi-même certains détails. Conserver un rapport manuel au projet me permet en plus de remettre en question certaines méthodes, de réfléchir aux procédés de production, de mise en place. Cela me sert beaucoup, notamment pour le design d'espaces et d'installations, puisque la plupart des réalisations sont éphémères.
En parlant d'installation, le projet Zou Maë ! , conçu en collaboration avec Céline Thibault, vous a valu d'être lauréats de l'édition 2019 de la Design Parade organisée par la Villa Noailles. Comment est née cette réalisation ?
Cela faisait déjà un moment que trottait l'idée de participer au concours. Avec Céline, nous nous sommes rencontrés physiquement aux ateliers de Paris, et artistiquement via le programme « Kyoto Contemporary », qui consiste à mettre en place des échanges entre des designers parisiens et des artisans japonais. On s'est alors rendu compte que nous avions tous les deux un attrait fort pour le Japon ! Pour Céline, qui est designer textile, cela concerne la sérigraphie, car elle a découvert là-bas des savoir-faire incroyables, techniquement très riches : ils n'ont quasiment aucune limite en termes de combinaison, de superposition. De mon côté, mon intérêt est surtout lié à la capacité qu'ont les artisans japonais à associer et assembler des matériaux avec une précision inouïe, embrassant un raffinement complètement à l'opposé, je pense, de ce qui se fait en France. Bref, le Japon est devenu pour nous un rêve, une source d'inspiration. Pour revenir au projet Zou Maë !, c'est une hybridation culturelle entre la Méditerranée et le Japon autour du rituel du bain, avec comme point de départ, l'odeur du savon de Toulon. Ainsi, la disposition du séchoir à savon renvoie aux séchoirs à kakis tandis que la baignoire - réalisée entièrement en savon de Toulon avec la collaboration de la savonnerie artisanale Plaisant - évoque l'ofuro, bain traditionnel japonais en bois massif. Quant au soubassement, il est réalisé en papier washi laqué urushi.
Vos derniers projets en cours ?
À titre personnel, je suis en train de redémarrer un projet de rénovation pour les clients du premier loft que vous évoquiez. Je suis également en train d'achever une villa dans le sud de la France, un exercice inédit pour moi et très différent de ce que j'avais l'habitude de faire ! Avec Céline Thibault, nous repartons à la dérive pour proposer une nouvelle expérience dans le cadre de la Design Parade Toulon 2020, tandis qu'un projet encore secret devrait voir le jour à la fin du printemps. Comme à chaque fois, nous ferons résonner cette trilogie : territoire, savoir-faire et matériau, pour raconter, in fine, une nouvelle histoire…
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