Au commencement était… la matière : roche, bois, terre, verre, métal. Puis sont arrivés les matériaux synthétiques et composites. Ces dernières années, le Corian® ou le corten ont remporté tous les suffrages. Mais quid de demain ? L'industrie n'est pas en reste : les carreaux de béton translucide, la céramique lumineuse, le verre coloré changeant de ton en fonction de la température, l'aluminium transparent, la mousse métallique super légère, idéale pour l'habitat flottant (une tendance à la hausse à l'âge du réchauffement climatique), ou encore l'aérogel, une des matières les plus isolantes qui soient et qui plus est, elle aussi transparente, font déjà rêver les concepteurs. Les matériaux de construction seront en outre toujours plus résistants avec l'ajout de graphène ou de nanocristaux dans le béton, ou encore la création de bois synthétiques, mais aussi plus durables avec des produits comme la mousse de champignons, la brique de chanvre ou celle faite à partir de déchets ménagers et dont les propriétés thermiques et acoustiques sont meilleures que celles des briques standards.
« Des cellules photovoltaïques seront en outre intégrées à toutes sortes de matériaux de construction », ajoute Tamar Kasriel, consultante en stratégies d'avenir.
LES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION DE DEMAIN
Concernant les techniques de mise en œuvre, le préfabriqué a un bel avenir devant lui. Roger Krulak, à la tête d'une entreprise leader dans ce domaine à New York, assure que d'ici dix ans, il constituera 25 à 30 % des nouvelles constructions urbaines. Ses avantages sont nombreux : chantier plus court et plus propre, solutions modulaires et pouvant intégrer tous les paramètres écologiques ou domotiques désirés, personnalisables à souhait. Les délais de fabrication tendent eux aussi à diminuer avec la robotisation des usines.
Au Japon - aujourd'hui le pays le plus à la pointe dans ce domaine avec un taux de logements préfabriqués s'élevant à 15 % -, la firme PanaHome produit déjà en une journée les panneaux de seize maisons pouvant être montées sur site en cinq heures chrono ! Mais ont-elles la justesse d'une habitation pensée par un architecte et son client pour un site donné ? Nous y reviendrons…
Si l'impression 3D a le vent en poupe, elle est à l'heure actuelle surtout utilisée pour la réalisation de petits objets. Son avenir dans la construction se fait néanmoins de plus en plus certain : l'agence italienne WASP a réalisé près de Ravenne un abri en terre, eau et paille, collectés localement. Cette structure antisismique a été réalisée d'une traite par l'imprimante 3D. Ses qualités environnementales en font un modèle qui, développé à plus grande échelle, s'avère extrêmement prometteur. À Amsterdam, l'agence DUS est quant à elle en phase de terminer une maison prototype de 700 mètres carrés, dont chaque élément aura été imprimé tridimensionnellement. Pour ce faire, plusieurs imprimantes géantes ont été mises en œuvre, comme la XL FDM pouvant imprimer des panneaux allant jusqu'à 6 mètres de hauteur. La maison repose sur treize éléments distincts, imprimés séparément puis fixés les uns aux autres à la manière d'un puzzle en relief. Toutes les spécificités techniques sont intégrées en amont du projet pour des résultats hautement personnalisés, avec une grande marge de flexibilité tout au long de la conception. L'ensemble est démontable si la famille souhaite déménager. Nomade, la maison de demain ?
L'ARCHITECTURE SERA COLLABORATIVE
Allant souvent de paire avec l'impression 3D, la disponibilité des plans en open source , c'est-à-dire téléchargeables depuis un site Internet accessible à tous : « Dans pas si longtemps, vous pourrez sélectionner en ligne votre chambre à coucher, votre salon et votre cuisine idéaux, les adapter à votre site, à la surface dont vous disposez et à vos goûts, avancent les concepteurs de DUS. Le logiciel vous fournira les fichiers de la maison de vos rêves que vous pourrez alors envoyer à un imprimeur 3D [on trouve généralement ces derniers dans des fab lab , petites structures offrant des services de fabrication numérique, ndrl]. Un mode de faire qui comble les écarts entre concepteur, client et constructeur, et rend l'architecture plus personnelle ! La production numérique répond parfaitement aux exigences d'une architecture complexe et sur mesure, comme par exemple les rénovations d'intérieur. Une fois imprimées, les nouvelles pièces de la maison sont insérées dans l'existant par un entrepreneur. Pas de travail laborieux, pas de déchets : la rencontre parfaite ! ».
En effet, quoi de plus pratique que de concevoir sa future maison depuis son canapé. Mais l'architecte dans tout ça ? Peut-on vraiment tirer un trait sur sa plus-value et laisser à l'usager la capacité de concevoir sa maison comme il fait son shopping en ligne, en faisant abstraction de tout contexte ?
L'open source trouve en revanche toute sa raison d'être lorsqu'il est destiné à des populations dans le besoin : réfugiés, victimes de catastrophes naturelles, habitants des bidonvilles, etc. Un exemple parmi tant d'autres, l'architecte chilien Alejandro Aravena a mis à disposition du public quatre plans de logements sociaux.
De même, l'Américain Cameron Sinclair, co-fondateur de la célèbre ONG Architecture for Humanity (aujourd'hui Open Architecture Collaborative), a établi une gigantesque plateforme Internet où concepteurs, fabricants, ONG, élus, donateurs et usagers ont accès aux plans d'habitats d'urgence et autres informations, et peuvent nourrir la base de données. L'open source s'avère ici un système ultraefficace, donnant une marge de manœuvre gigantesque à toutes les parties prenantes. Nous tendons ainsi vers une culture de la collaboration, remettant en question le schéma traditionnel top-down pour répondre au contraire à chaque fois à des besoins précis.
NOUVELLES FAÇONS D'HABITER
« En 2045, vous vous réveillerez, vous irez dans la salle de bains où votre miroir contrôlera votre pouls et l'oxydation de votre sang. Votre brosse à dents ultrasonique examinera un échantillon de votre salive tandis qu'une balance intégrée au sol vous pèsera et vérifiera la salinité de votre peau. Les W.-C. analyseront vos selles et toutes ces données seront confrontées aux activités de la veille, sauvegardées par vos objets connectés. Une fois habillé·e, vous irez dans la cuisine oùun robot-mixeur vous aura préparé un smoothie parfaitement adapté à vos besoins du jour. Un menu adapté à vos activités de la journée vous sera également proposé. Tout sera conçu pour répondre à vos besoins, si bien que vous quitterez la maison en pleine forme, prêt·e à démarrer la journée. » C'est par ces mots que Peter Cochrane, conseiller technologique auprès de plusieurs entreprises au Royaume-Uni et aux USA, décrit l'habitat du futur. Au-delà de la domotique, le smart home sera la norme : légèrement plus sophistiqué qu'une simple autonomisation des fonctions, il s'agit d'adapter intuitivement la maison aux besoins des habitants et de mettre en relation des services extérieurs avec les données recueillies par les objets connectés. La maison intelligente ira jusqu'à détecter notre humeur en fonction de nos battements de cœur, du débit de notre parole et de la chaleur de notre corps, et d'y répondre par une musique, une température et un éclairage appropriés.
GESTION DES ESPACES
En Belgique, au nord de Bruxelles, la firme Living Tomorrow expose aux visiteurs un habitat du futur présentant les évolutions tant spatiales, économiques que technologiques du logement de demain. On y découvre notamment « l'appartement kangourou », intégré à la maison tout en bénéficiant de son indépendance, qui accueille les grands-parents que l'on souhaite avoir à proximité compte tenu de leur état de santé, ou pour l'aide qu'ils peuvent fournir aux autres membres de la famille. Une intergénérationnalité bienvenue dans un monde tendant un peu trop à l'individualisme et que le smart home peut d'ailleurs contribuer à faciliter (suivi médical par le biais d'objets connectés entre autres). D'après « Paris change d'ère », rapport d'étude commandé par la Ville de Paris dans le cadre de ses réflexions pour la construction d'une ville neutre en carbone, le télétravail sera dans un avenir proche couramment pratiqué par les entreprises, ce qui suggère l'aménagement dans la maison d'un espace de travail dédié, où les vidéoconférences pourront, pourquoi pas, avoir lieu en 3D. La tendance à l'habitat participatif, qui consiste à prendre part à la conception de son immeuble de logements avec les autres propriétaires et d'intégrer à celui-ci un certain nombre de pièces et services partagés (buanderie, hall de fêtes, atelier, salle de gym, etc.), sera également à la hausse.
ET L'ÉCOLOGIE DANS TOUT ÇA ?
Ils sont nombreux ceux qui le répètent : il est possible d'atteindre la neutralité carbone à Paris d'ici 2025 (rapport « Paris change d'ère »), il est possible que la France fonctionne à 100 % aux énergies renouvelables d'ici 2050 (scénario NégaWatt). La maison de demain devra donc être hyperécologique en appliquant les principes du bioclimatisme couplés à une isolation ultra efficace, et en ayant recours à des matériaux biosourcés. Ses habitants devront utiliser des ressources énergétiques renouvelables et surtout, adopter un mode de vie plus sobre. Passage incontournable pour réduire les émissions de carbone, la sobriété énergétique pourra être facilitée par la généralisation des installations domotiques qui informent les usagers sur leur consommation d'énergie afin d'éviter le gaspillage. Mais attention : cet appareillage et l'ensemble des équipements de la maison devront être durables, et l'obsolescence programmée un mauvais souvenir Côté matériaux, si l'on a parlé plus haut des nouveautés qui émergent, les matériaux biosourcés restent bien sûr d'actualité : l'apologie de leurs qualités thermiques ou d'ambiance n'est plus à faire, or le bien-être et les émotions ressenties par l'usager sont au centre de la maison du futur. Le bois est ainsi plus que jamais à l'honneur et les hauteurs des édifices construits dans ce matériaux ne cessent de battre des records. D'ici quelques mois, le plus haut gratte-ciel du monde en structure hybride (bois et métal) ouvrira d'ailleurs les portes de ses 24 étages (84 mètres de haut) : c'est la tour Hoho conçue à Vienne, en Autriche, par Rüdiger Lainer + Partners. Elle accueillera des commerces, des bureaux, des logements et un hôtel. Enfin, au-delà des ressources matérielles, il y a les « ressources invisibles » à la base de l'art de bâtir de demain selon Jana Revedin, architecte et professeur, co-initiatrice du Global Award for Sustainable Architecture. Ces ressources sont le temps, les besoins et l'expérimentation, négligés au cours du siècle passé au profit de modèles productivistes.
« L'architecture doit se réinventer, affirme-t-elle, la vision du progrès se renouveler. C'est en renouant avec l'expérimentation que le concepteur peut parvenir à comprendre et à accompagner de façon juste les transitions et les changements complexes des sociétés. »
Et de prôner un « amendement permanent des milieux habités », c'est-à-dire une adaptation continuelle des lieux et des habitats à leurs communautés, en co-programmant, en co-concevant et en co-produisant avec les usagers et toutes les parties prenantes. Une vision loin d'exclure les nouvelles méthodes évoquées plus haut, comme l' open source, mais qui donne au concepteur un nouveau rôle. Que la profession n'ait donc pas de crainte : l'architecte restera nécessaire au développement du paysage construit.
Article paru dans Architectures À Vivre 100 : La maison qui vous veut du bien
POUR EN SAVOIR PLUS
⇒ La California Roll House de Christopher Kim
Autoproclamée maison du futur par son concepteur, l'architecte Christopher Kim, ce projet de maison préfabriquée propose des aménagements personnalisés et des solutions adaptées au contexte. Les formes qui en découlent sont à chaque fois différentes : ici pensée pour le désert, son enveloppe métallique reflète les rayons du soleil. Rapidement mise en œuvre, nomade, énergétiquement ultra efficace, automatisée et d'une résistance extrême, la California Roll House a tout pour plaire !
www.violentvolumes.com
⇒ La 3D Print Canal House de l'agence DUS - La maison sur le canal
« Nous voulions allier technologie de pointe et architecture locale », expliquent les architectes de l'agence DUS, à l'origine du projet. Si l'habitation respecte la morphologie des maisons en bande typiques d'Amsterdam, le matériau utilisé, lui, est loin d'être le même que celui de nos ancêtres ! Le polymère composé à 80 % d'éléments naturels est dispensé en couches par une imprimante de plusieurs mètres de haut. L'impression a commencé en 2013 et devraient s'achever dans les mois à venir.
www.houseofdus.com
www.3dprintcanalhouse.com
www.aectual.com
VIDÉO : 3D Print Canal House from 3D Print Canal House on Vimeo.
⇒ Eremo de l'agence WASP - Imprimer en terre
Baptisé Eremo, l'abri en terre de l'agence italienne WASP, réalisé par une imprimante 3D, est véritablement écoresponsable puisqu'il a uniquement recours à des matériaux naturels locaux, à même de générer un environnement de vie sain et un confort thermique optimal, pour un coût final très modéré.
www.wasproject.it
⇒ la Bolt House de Panorama - Maisons en open source
Sur le site Paperhouses, des architectes publient les plans de leurs maisons en open source. L'agence chilienne Panorama y propose une cabine de 30 mètres carrés en bois, la Bolt House, comprenant un sauna et un toit terrasse, idéale pour les retraites de week-end. Les fenêtres ont toutes des orientations différentes pour pouvoir pleinement profiter des vues alentours.
www.paperhouses.co
www.panoramaarquitectos.com
⇒ la Xh system house de Dekleva Gregorič Architects - Préfabrication et modularité
L'agence slovène Dekleva Gregorič Architects offre au téléchargement sur son site Internet la Xh system house : une maison archétypique customisable selon les souhaits du client, le nombre d'habitants et le contexte géographique.
www.dekleva-gregoric.com
⇒ La Folk House par l'agence Spora - Du vernaculaire à l'open source
L'agence hongroise Spora a imaginé pour le site Paperhouses la Folk House (« maison populaire »). Pourquoi Folk ?
« Autrefois , explique l'architecte Adam Hatvani, les gens reproduisaient les constructions de leurs ancêtres, de leurs voisins. C'était l'architecture populaire, vernaculaire, reproduisible sans architecte. Un peu comme l'open source aujourd'hui ! »
www.paperhouses.co, www.sporaarchitects.hu
⇒ La tour Hoho de Rüdiger Lainer + Partners - Le bois prend de la hauteur
La maison du futur c’est aussi celle qui bat des records tout en restant fidèle aux principes écoresponsables. La tour
Hoho à Vienne, conçue par Rüdiger Lainer + Partners, atteindra 84 mètres de haut lorsqu’elle ouvrira cette année. Sa structure porteuse est en bois et
métal et son enveloppe entièrement en bois, soit au total 74% de bois.
www.lainer.at