Les photographes Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse ont tenté de saisir les divers profils de la tour Ponte City de Johannesburg, pendant cinq ans. Délicate enquête car le gratte-ciel incarne à lui seul les tourments de la société sud-africaine ces cinquante dernières années. Conçu à la fin des années 1960, il est pensé comme l’emblème de la prospérité du pays - au temps de l’apartheid, s’entend : érigé au milieu de quartiers exclusivement blancs, ses appartements se destinent aux classes moyennes en pleine ascension et les derniers étages, dévolus aux riches, sont imaginés comme des garçonnières chics. Mais l’année de la fin de sa construction, 1976, est aussi celle des émeutes des étudiants de Soweto, et la tour devient alors symbole de démesure. Qui plus est, avec l'arrivée à la présidence de Mandela en 1994, les blancs désertent le centre-ville pour la sécurité des banlieues nord et laissent Ponte City abandonnée au crime, au crack, aux ordures et à la prostitution. Du moins, c’est désormais l’image qui lui est associée. La tour est alors largement investie par des migrants, sans travail ni papier, qui affluent des pays africains voisins. 2007, des investisseurs immobiliers la rachètent avec la volonté de redorer le blason terni de l’édifice : les anciens résidents partent à la hâte, les appartements de la partie inférieure sont vidés, le chantier de rénovation débute, mais le projet échouera avec la débâcle financière de la fin de la décennie.
L’exposition du BAL proposait aux visiteurs une immersion multiforme dans cette histoire à rebondissements : on découvrait la tour telle qu’elle a été rêvée à plusieurs époques, au travers des plans de construction, des coupures de presse, jusqu’aux campagnes publicitaires récentes. Ce rêve de bâtiment se retrouvait directement confronté à l’espace vécu, puisque les plans d’origine et les captures photographiques systématiques des « points de vues » des étages côtoyaient les portraits des ultimes habitants - qui y demeurent toujours. Enfin, l’exposition dévoilait la tour dans la profondeur de sa mémoire, au travers d’objets trouvés, amassés, restitués. Effets personnels, photos de vie quotidienne banale et heureuse, lettres de réfugié politique demandant asile : des instantanés laissés là, après des départs que l’on imagine précipités, et qui formaient comme des strates géologiques d’un bâti en décrépitude.
L'ouvrage retrace cette enquête, qui a valu aux auteurs d'être distingués en 2011 aux Rencontres d'Arles.