Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 06/11/2013
En 2006, Philipp Tschofen et Carmen Wiederin de l’agence Propeller Z repèrent, à 60 kilomètres au nord de Vienne, une petite ferme avec un verger, à vendre à un prix défiant toute concurrence. Ils sautent sur l’opportunité mais leur budget pour la rénover et l’agrandir est serré. Les lieux sont organisés selon une disposition traditionnelle, avec trois corps de bâtiments en U : habitation et grange, de part et d’autre d’une cour, reliées par un passage couvert. Avant tout, le couple veut profiter du jardin et de la vue au sud, auxquels la ferme, inscrite dans la pente du terrain, tourne complètement le dos. La réglementation urbaine locale se contente de leur imposer la zone dans laquelle ils peuvent construire. « Le projet a été présenté devant un conseil dont les membres étaient tellement contents que nous préservions les bâtiments existants – nombre d’entre eux sont démolis, car difficiles à restaurer – qu’ils ont accepté notre concept tel quel », raconte Philipp Tschofen.
La maison à deux têtes
« Nous savions très bien où nous allions intervenir, mais trouver le bon langage nous a pris du temps », poursuivent les architectes. Ils commencent donc par rénover l‘habitation, et quatre ans plus tard, dressent fièrement au-dessus une extension qui double les 60 mètres carrés existants et établit un lien direct et fort avec le paysage champêtre et vallonné. Invisible depuis la route, celle-ci ne semble pas troubler les voisins, car il faut entrer chez le couple pour comprendre. « Notre construction n’est pas en rupture totale avec le contexte, explique Philipp. Ses proportions et ses lignes sont calculées attentivement en fonction de la topographie et des bâtiments alentour. Nous voulions perturber les lieux le moins possible. » La seule altération consiste à supprimer l’angle sud-ouest du toit du passage couvert. Ainsi le volume imaginé se glisse dans le vide créé, étayé par une colonne d’acier en V, et ménage un espace abrité qui sert de plateforme de connexion. La distance entre l’ancienne habitation, où sont regroupées toutes les chambres, et la nouvelle, qui abrite le séjour, oblige les habitants à passer par l’extérieur en empruntant un escalier. « C’est une maison de campagne, l’idée est de s’aérer au maximum », argumente son créateur.
Son échelle et sa géométrie, légèrement en biais, facilitent l’inscription de l’extension dans le paysage, tandis que sa peau de métal produit un contraste saisissant avec la ferme. Le stock de bûches, qui couvre la quasi-totalité de la façade nord, est inspiré des réserves de bois qui prennent place à l’arrière de toutes les bâtisses de la région. Il renforce l’isolation et assure le fonctionnement du poêle. « Il établit aussi une transition avec le cadre rural et permet d’afficher progressivement sa modernité. C’est une sorte d’extraterrestre qui dirait "Je viens en paix !" », s’amuse Philipp. Cette disposition rappelle la cabane personnelle de Ralph Erskine en Suède, The Box (1942), qui arbore également une face nord rectangulaire dissimulée derrière des bûches formant une protection contre le froid.
Économique et bioclimatique
Pour concevoir un agrandissement peu coûteux et économe en énergie, Philipp et Carmen respectent les principes bioclimatiques et utilisent des matériaux facilement disponibles dans le commerce. Les panneaux de bois qui composent sa structure sont assemblés de manière à former une enveloppe close au nord et à l’ouest, mais entièrement ouverte au sud. Un volume unique accueille le salon, la salle à manger et la cuisine. L’apport des rayons du soleil, combiné à l’ossature légère qui chauffe rapidement et à l’isolation en papier recyclé de 25 centimètres d’épaisseur, réduit considérablement le besoin de chauffage – un poêle suffit. Les chambres, conservées dans la partie ancienne aux murs de terre de 60 centimètres d’épaisseur, offrent un refuge frais et ombragé l’été, tandis que l’extension, complémentaire, procure de la chaleur l’hiver et crée le lien avec le jardin. Excepté l’installation des panneaux, préfabriqués par un charpentier de la région et dressés en deux jours, Philipp privilégie l’autoconstruction, se chargeant également de la pose des revêtements intérieur et extérieur, ainsi que du mobilier fixe. Au plafond, du contreplaqué marine ; au sol, du béton simplement huilé. Il recouvre les façades de plaques d’aluminium non traité de 5 millimètres d’épaisseur, économiques et très souples. « Ce matériau marque et se tache mais vieillit joliment », se réjouit l’architecte qui apprécie cette part d’expérimentation, plus facile à gérer pour soi-même qu’avec un client. « Comme c’est à 40 minutes du centre-ville, de notre agence et de notre appartement, nous avons fini par y vivre à mi-temps, en accueillant amis et visiteurs », conclut-il. Une belle vitrine pour Propeller Z.