Caroline est une femme dynamique et pétillante. Designer de mode, elle vit depuis 3 ans dans un duplex de 72 mètres carrés, au dernier étage d’un immeuble situé au nord du quartier de Montmartre, dans lequel elle aimerait à la fois confectionner ses projets mais aussi recevoir ses amis dans de meilleures conditions. Une contrainte qui implique d’avoir suffisamment de rangements pour dissimuler tout son matériel de travail, plutôt envahissant. De plus, ni la bonne distribution des pièces – organisées autour de deux murs porteurs séparant d’un côté le salon et une première chambre en mezzanine, et de l’autre la cuisine et la chambre principale –, ni le cachet de l’habitation (poutres apparentes et plancher en chêne), ne suffisent désormais à ce que cette artiste à la personnalité tranchée se sente véritablement chez elle. En 2012, elle décide donc de faire appel à son ami Alexandre Delaunay de l’atelier SABO project, qu’elle a rencontré à Brooklyn plusieurs années auparavant. Confiante, elle donne à l’architecte une totale carte blanche pour les travaux de rénovation qui lui offriraient un lieu de vie plus accordé à son image et ses besoins. Deux interventions, segmentées pour des raisons budgétaires, seront nécessaires pour répondre à sa demande. La première en 2012, concentrée sur le salon et la mezzanine, puis la seconde en 2014, dans la cuisine et l’autre pièce de nuit.
Équilibrer les volumes
Lorsqu’il découvre les lieux, Alexandre Delaunay comprend que l’appartement en mansardes pâtit d’une volumétrie alambiquée. « Il abritait de nombreuses niches générées par les conduits de cheminées des autres habitations, témoignet- il. De véritables trous de souris ! » Conséquence : le tracé des pièces est très irrégulier, pour ne pas dire biscornu. Le concepteur réalise qu’il devra « calmer l’espace, trop fort visuellement » avant toute autre intervention. Il exploite certaines de ces cavités en installant des placards qui « occupent les soupentes et redonnent ainsi leur verticalité aux murs légèrement inclinés ». D’autres niches apparentes sont elles réinterprétées : dans la pièce principale, une longue saignée est ainsi transformée en une bibliothèque toute hauteur. Peinte en vert chartreuse, elle apporte rythme et dynamisme à l’appartement. Dans la cuisine enfin, ces lézardes sont dissimulées sans détour derrière un caisson blanc : radical mais efficace.
Boîte sans fond
De manière à combiner l’intégralité des attentes dans ce petit volume, l’architecte propose de repenser les relations entre les pièces pour que chacune optimise l’espace de sa voisine, et vice versa. Une démarche plus proche du travail d’orfèvre, portant sur l’optimisation de nombreux petits détails, que d’une lourde intervention visant à reconfigurer le logement de manière drastique. Ainsi, sans que les pièces changent pour autant ni de place, ni de surface, l’appartement entier est redéfinit, et plus particulièrement le salon et l’accès à la mezzanine, réorganisé autour d’un grand meuble central aux mille-et-un usages. Cette structure, qui dissimule le mur porteur du milieu, combine à la fois bureau, penderie, porte coulissante, vide-poches, niches décoratives, garde-corps de l’étage et même l’escalier qui y conduit. Autre tour de passe-passe, chaque demi-marche est creuse à l’intérieur, pour que Caroline puisse y ranger ses rouleaux de tissus sans avoir à les plier ! Enfin, Alexandre Delaunay supprime la cloison qui reliait les deux murs structurels, ce qui lui permet de percer une lucarne traversant le meuble ains qu’une petite porte donnant dans le couloir d’entrée. Cela facilite la circulation de la lumière et permet aussi de récupérer des vêtements en sortant de la salle de bains. Un travail de condensation des fonctions d’autant plus bluffant que la boîte est en apparence très sobre, grâce aux grands panneaux blancs de MDF qui la bardent. Sa fantaisie naît d’une tranchée inscrite dans toute sa longueur et de la même teinte que les rayons de la bibliothèque. Cette ligne aère le volume et ajoute une touche de couleur bienvenue, tandis que du chêne souligne les formes des casiers décoratifs.
Over the rainbow
Le reste des transformations repose aussi sur ce principe de vases communicants. La cloison supérieure de la salle de bains, mitoyenne avec le salon, est abattue et remplacée par des parois de verre dépoli. La pièce d’eau en double hauteur profite en effet d’un éclairage zénithal exceptionnel, qu’il était dommage de ne pas réinvestir. Désormais lanterne géante, elle baigne l’espace principal d’une douce lumière. Côté cuisine et chambre, Alexandre Delaunay supprime la cloison, pourtant régulière, afin d’y créer de nouveaux recoins. Le tracé du nouveau mur serpente entre les toilettes, accueille l’électroménager encastré ou encore la penderie de la chambre, répartissant ainsi la surface là où elle est nécessaire. Dans les deux pièces, des placards lissent finalement ces différences. Tous les rangements de la cuisine sont ainsi rejetés du même côté, laissant assez de place dans ce volume en ruban pour installer un large plan de travail recouvert d’une feuille d’inox brossé. Enfin, l’architecte souligne la perspective créée en accordant un soin particulier au plafond et au sol. Le premier est équipé d’une constellation de luminaires tandis que le second est recouvert d’un lino multicolore : « un élément fort et graphique, qui rappelle les nuanciers avec lesquels travaille la maîtresse des lieux mais aussi sa personnalité », conclue l’architecte.