Manhattan, les années 1970. Des artistes fauchés élisent domicile dans d'anciens hangars industriels suite à l'exode des entreprises en périphérie. Les surfaces généreuses, la luminosité et l'aspect brut s'accordent avec le style de vie bohème et l'activité créatrice de leurs nouveaux locataires. Charpentes métalliques, murs en brique et sols en béton sont érigés au rang du cool absolu, et il suffit d'attendre une petite dizaine d'années pour voir la classe moyenne s'emparer de ce qui était une excentricité pour en faire un canon de l'architecture contemporaine. Le phénomène a finalement connu l'engouement international qu'on lui connaît, si bien qu'aujourd'hui des décorateurs en singent les codes pour maquiller certaines maisons neuves. Serait-ce si difficile de s'affranchir de caractéristiques aussi populaires ? L'architecte Olivier Chabaud y est pourtant parvenu, transformant un ancien parking de 136 mètres carrés en un appartement élégant, fonctionnel et lumineux sans jamais céder aux sirènes des clichés.
UN DESSEIN CLAIR
Les origines de ce projet remontent à 2012, lorsqu'un couple désireux de s'installer dans le 9e arrondissement de Paris découvre un lot au cinquième et dernier étage d'un parking aménagé dans un immeuble datant de la première moitié du XXe siècle. Mis à la vente pour changement de programme, ce grand volume en longueur parsemé de poteaux en béton brut est équipé d'une verrière et d'un balcon côté rue ainsi que d'une terrasse côté cour, tous trois aménagés par le promoteur pour l'occasion. Des spécificités qui séduisent les futurs acquéreurs, lassés des appartements haussmanniens. Ils achètent alors le local et en confient la réhabilitation à l'architecte Olivier Chabaud. Le programme est concis : aménager deux chambres dont une pour un bébé à venir et disposer d'un grand espace de vie pour recevoir leurs nombreux invités.
« Notre métier est un art évolutif, il implique un mouvement et donc une certaine scénographie. » Olivier Chabaud, architecte
ET LA LUMIÈRE FUT
Malgré la simplicité apparente du cahier des charges, l'architecte est rapidement confronté à une difficulté de taille. « La luminosité à l'intérieur de ce grand volume pourtant traversant et orienté est-ouest était particulièrement inégale, explique-t-il . Si le local était bien éclairé sous la verrière et à proximité de la terrasse, il était très sombre en son centre. Pour rétablir un certain équilibre, nous avons fait le choix de l'ouverture et de la transparence. » Olivier Chabaud compartimente donc les lieux au minimum, imaginant une immense pièce de vie déployée de l'entrée au salon installé sous la verrière. Au centre, il place la cuisine ouverte sur une salle à manger. Le tout est harmonisé grâce à l'îlot central en inox et un long meuble blanc faisant à la fois office de penderie et de placards de cuisine : implantés légèrement en biais, ceux-ci dessinent une diagonale qui guide la lumière jusqu'au cœur de l'appartement. Agissant comme un réflecteur, le béton blanc au sol complète le dispositif. Du côté des pièces de nuit, les cloisons se résument à des parois vitrées entourées d'un cadre en frêne. « Grâce à cette solution, nous avons optimisé la lumière traversante et conservé les perspectives. C'est ce qui fait la force du projet » , résume le concepteur, qui se veut rassurant sur l'intimité des propriétaires. « Chaque cloison est équipée de rideaux ou stores automatiques, si bien qu'il est toujours possible de s'isoler. »
D'ARTISTE À DÉMIURGE
Si un parking à réhabiliter peut s'apparenter à une toile immense sur laquelle laisser libre cours à son imagination, cet avantage représente aussi une certaine contrainte, comme l'explique Olivier Chabaud « Lors de la rénovation d'un aussi grand volume, il est impératif de le séquencer pour ajouter du rythme. Notre métier est un art qui se rapproche du cinéma ou de la musique : il est évolutif, il implique un mouvement et donc une certaine scénographie. Cela fut d'autant plus crucial lors de ce projet que mes clients ne sont pas du genre à s'approprier l'espace grâce à leur propre décoration. » D'un commun accord le choix est fait de ne pas trahir l'existant en mimant un pseudo esthétique new-yorkais, avec lequel le garage ne partage presque aucune caractéristique.
Le rythme, lui, provient du dialogue entre les matériaux utilisés : le bois, la pierre, le béton ou encore l'acier, qui relient les différentes pièces entre elles. Ainsi, le marbre dont est revêtue la salle de bains est également utilisé comme tête de lit dans la chambre parentale, tandis que l'îlot en inox de la cuisine finit sa course juste au-dessus de l'estrade en mélèze du salon, comme pour relier ces deux univers. Mais c'est encore la bibliothèque sous verrière qui fascine le plus. Constituée d'un immense panneau blanc en bois laqué dans lequel sont vissés des cylindres en aluminium, elle attire immédiatement le regard, évoquant une constellation sur un ciel immaculé...
⇒ Projet paru dans le Best Of d'Architectures À Vivre : Maisons & appartements