Une échelle de piscine mène à des jardinières revêtues de carrelage effet terrazzo sous la lueur des néons. Habillé de plexiglass fluorescent, un portique enjambe une cuisine immaculée. Plus loin, une backroom enveloppée de moquette aux reflets mordorés… stimule l'imagination. « Notre approche est hyper picturale, hyper théâtrale, car nous pensons que rentrer chez soi, ce doit être comme un spectacle », expliquent Nastasia Potel et Mylène Vasse, fondatrices de l'agence d'architecture d'intérieur Ubalt pour raconter ce projet de réhabilitation livré en novembre 2020. Un loft de 250 mètres carrés, dans le 20e arrondissement de la capitale, qui s'éloigne des codes traditionnels des appartements parisiens pour évoquer davantage le décor d'un clip vidéo à l'esthétique un brin rétro.
DIAMANT (UN PEU TROP) BRUT
Il faut dire que l'existant, son histoire, tout comme ses propriétaires, invitaient à l'audace. « Nos clients, un couple, possèdent d'autres biens dans Paris ; ils achètent d'anciens locaux commerciaux pour les transformer en petits logements destinées à de la location de courte durée. » Mais cette fois, le contexte est différent : c'est pour y habiter eux-mêmes que les maitres d'ouvrage souhaitent acquérir cet ancien data center, « l'un des tous premiers de Xavier Niel, racontent les architectes d'intérieur. La légende veut que ce soit ici qu'il ait inventé le concept de la box internet. » Resté dans son jus, au rez-de-chaussée d'une copropriété bâtie dans les années 1970, le data center est aussi plus complexe à réhabiliter que les locaux commerciaux précédemment transformés par le duo d'entrepreneurs. Ultra brut, il est très sombre car pratiquement aveugle, uniquement percé d'un lanterneau et de baies donnant sur une coursive couverte et passante. Et comme ses seuls autres murs non mitoyens donnent sur un parking, l'idée d'ajouter de nouvelles ouvertures est à écarter… C'est donc pour s'assurer de la pertinence de la transaction que le couple sollicite Nastasia Potel et Mylène Vasse, dont ils avaient découvert le travail dans la presse, et notamment par le biais d'un reportage publié dans Architectures À Vivre *. Et les conceptrices de confirmer le potentiel de l'existant : la belle hauteur sous plafond, la surface généreuse -une exception dans le quartier ! - et le passé atypique du data center présagent un résultat remarquable.
SCÈNES ET LUMIÈRES
Outre le respect d’un cahier des charges fourni – impliquant tout de même la création de quatre chambres, au minimum –, et changeant – installés entre temps à l’étranger, les maîtres d’ouvrage décident de faire du loft leur pied-à-terre parisien qu’ils loueront le reste du temps –, c’est bien le manque de lumière et de vues qui préoccupe Nastasia et Mylène. Fort heureusement, le duo ne manque ni de ressources, ni d’idées. « Évidemment, les espaces qui n’ont aucune fenêtre sont rapidement étouffants. Alors, il faut ramener du spectacle et de la surprise dans chacun d’entre eux. Et justement, les pièces qui sont les plus aveugles et plus reculées sont celles où on y est allé le plus fort ! », racontent-elles, fidèles à leur approche théâtrale. Dans l’aile la plus lumineuse de l’appartement, qu’elles réservent aux espaces de vie, elles décident ainsi d’aménager une sorte de jardin d’hiver, concocté à partir de jardinières, d’une échelle de piscine ou encore de mobilier outdoor. « Notre premier objectif était de faire entrer l’extérieur à l’intérieur, autrement dit, d’intégrer un paysage entre les murs puisque l’on ne pouvait en percevoir aucun à l’extérieur de ceux-ci », argumentent-elles. Un moyen aussi détourné que graphique de prévenir toute réaction claustrophobique de la part des habitants, auquel s’ajoutent des éclairages artificiels, des néons réalisés sur mesure, ainsi qu’un portique habillé de plexiglass, dont la teinte, entre le jaune et le vert, se révèle fluorescente. Non porteur, il permet de « structurer ce grand volume sans point de repère », de faciliter la diffusion de la lumière, ce, tout en rappelant l’identité années 1970 de la copropriété.
COULISSES RÉVERSIBLES
Du côté des pièces intimes, les conceptrices emploient effectivement un vocabulaire scénique, assumant le caractère aveugle plutôt que d’essayer, en vain, de le pallier. Les contours de la suite parentale, par exemple, sont matérialisés par un rideau doré dissimulant cloisons et accès à la salle d’eau et au dressing, si bien que « l’on ne sait plus exactement où sont les limites de la pièce ». La fameuse backroom, au fond de l’appartement, est quant à elle enveloppée de moquette et se joue de l’absence d’ouverture : « quitte à ne pas avoir de repères, autant proposer un espace sans fonction ni limites définies, dans lequel l’on se sent comme en apesanteur », argumentent Nastasia Potel et Mylène Vasse. Ni repères, ni fonction prédéfinie : c’est que la notion de réversibilité importe beaucoup au duo. « Nous pensons qu’il est important de penser des espaces qui pourraient aisément se transformer. Si demain cet appartement doit devenir un espace co-working, il le peut. Ce n’est pas lié à une vision catastrophique de l’avenir, c’est simplement un positionnement durable », concluent les conceptrices de ce projet bien plus lumineux qu’il n’y parait.
► Plus de reportages dans Architectures À Vivre n°117 spécial Jeux de lumière disponible en kiosque et sur la boutique en ligne.
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes d'intérieur Ubalt
www.ubalt-architectes.com
♦ localisation Paris (11e )
♦ livraison novembre 2020
♦ bâti d'origine années 1970
♦ études 6 mois
♦ travaux 12 mois
♦ surface 250 m²
♦ matériaux carrelage de chez Florim (revêtement salle de bains et jardinières) / moquette de chez Balsan (revêtement backroom) / peinture de chez Unikalo (revêtement sol) / plexiglass (habillage portique)
♦ équipements mobilier de chez Hay / robinetterie de chez Fantini / tables basses dessinées et réalisées sur mesure
*Architectures À Vivre, hors-série « Créations françaises », mars-avril-mai 2017