Somptueux, que ce « beau » livre. Beau, le qualificatif paraît d'ailleurs ici presque trop faible, tant les pages débordent de nacre et de cristaux, de coraux, de coquillages, de colonnades sculptées… Là, un minuscule Neptune aiguillonne un hanap mi-cheval, mi-coquille - une coupe hippocampe ? Puis, sur un bouclier, une méduse grimaçante darde sa chevelure de serpents… peinte par le Caravage, rien que ça. Et les pages défilent, conduisent à d'autres pièces, des pièces toutes entières emplies de trésors. De l'objet au mobilier, des murs au plafond, le photographe Massimo Listri nous fait découvrir à travers son objectif les splendeurs des Cabinets des merveilles, qui, dès la Renaissance, essaimèrent sur le Vieux Continent. Un tour d'Europe, de l'Allemagne à la Suède, avec un passage, obligé et luxueux, par l'Italie. Car avant le musée était le studiolo. Une pièce secrète de la Renaissance italienne, où l'intellectuel humaniste - le plus souvent noble et richissime - se retirait pour étudier au milieu d'objets rares reflétant sa personnalité. Celui du grand-duc François Ier de Médicis est ainsi l'un des rares témoignages authentiques de cette profusion éclairée. Au cœur du Palazzo Vecchio de Florence, le lieu a conservé son agencement originel, ses fabuleuses armoires peintes renfermant aussi bien des gemmes que des perles…
De siècle en siècle, le studiolo devint cabinet de merveille, de curiosité.
La naissance de la science moderne et les grandes explorations du XVIIe siècle lui ouvrirent les portes du microscopique et de l'infiniment grand, des cieux immenses et des abysses de l'âme humaine. Avec toujours, une volonté d'universalisme et cette croyance qu'il était possible de faire tenir toutes les beautés du monde dans un salon, voire dans un meuble. Tel celui que l'on offrit au roi Gustave II de Suède, le cabinet d'Uppsala, « véritable chef-d'œuvre de Philipp Hainhofer, le plus grand ébéniste de son temps, détaille l'historien de l'art Antonio Paolucci dans son introduction. Aux centaines de petits tiroirs, secrets pour la plupart, aux volets coulissants, aux miroirs rabattables et, partout, plus d'un millier d'objets en ivoire, en émail, en pierre dure, dissimulés dans d'innombrables compartiments. » Autant de fascinantes collections qui donnèrent naissance aux musées d'aujourd'hui, et dont certaines, plus tard, enrichirent les fonds. Si « le désir de comprendre le chatoyant spectacle de l'histoire et du monde » a changé de forme et si la pléthore magnifique des chambres des merveilles s'est quelque peu estompée, reste aujourd'hui leur philosophie : se mettre à l'écart des soucis du monde pour retrouver l'émerveillement. Et chacun, même sans le faste d'un prince Médicis, peut commencer son cabinet de curiosité. Après tout, comme l'affirmait en 1602 le philosophe Tommaso Campanella, « fondamentalement, tout, absolument tout, a sa place dans le cabinet des merveilles » . Le bernard-l'hermite ramassé sur la plage ou la cocotte en papier pliée avec application par le filleul aussi.
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