Vous étiez jardinier avant de devenir photographe : comment en êtes-vous venu à l'image ?
J'avais une passion très forte pour la photographie, qui en tant que jardinier, est loin d'être anodine. Il y a un vrai lien entre l'image et le jardin. Le jardin, à mon sens, c'est le lieu de la première image, c'est celle que l'on aperçoit lorsque l'on se penche sur un miroir d'eau. C'est le mythe de Narcisse, qui tombe amoureux de son reflet, ce sont les lumières d'un ciel étoilé que renvoie la surface d'un bassin, à la nuit tombée. Et puis photographier un jardin, c'est très exaltant : vivre une soirée à écouter un jardinier, dans un lieu clos, au milieu des fleurs, présente une dimension quasi philosophique.
Que raconte la Fable du jardin, ce « jardin d'images » qui clôt votre parcours de photographe-jardinier ?
Je suis parti d'environ 500 photos pour aboutir à cette sélection de 53 documents. Juxtaposés, ils composent une promenade où l'on suit le jardin de sa naissance à sa mort, en passant par l'adolescence et ses moments fleuris. Chacun d'entre eux capture un moment de grâce dans la vie d'un jardin : c'était une tentative de revenir à la quintessence de cet art, avec des photos fortes en couleurs et en lignes. La Ballue, Kerdalo … Il y a en tout 30 jardins qui semblent ici se confondre en un seul et unique lieu. C'est mon jardin, mais c'est aussi un jardin universel : dans ses Hétérotopies, Michel Foucault explique qu'il existe des lieux qui permettent à l'imaginaire de se projeter. Les jardins en font partie, ils convoquent tous les endroits du monde en un seul endroit.
Vous poursuivez actuellement un travail sur les friches, qui sont en quelque sorte l'antithèse du jardin. Pourquoi ?
Entre-temps, le paysagiste Gilles Clément est passé par là et ses écrits ont changé ma pratique photographique. Le « Tiers paysage » qu'il décrit, autrement dit, ces espaces négligés par l'Homme et que la nature reconquiert, me semblent constituer les jardins de demain : sur une planète anthropisée, je pense comme lui qu'il est nécessaire de clôturer certains espaces pour préserver cette force végétale qui repart de toute intervention humaine. J'aimerais pouvoir arriver à faire changer le regard sur ces friches, à donner de nouvelles références visuelles de ces lieux-là.
Cela a-t-il également changé votre manière de jardiner ?
Dans mon jardin, j'ai fait le choix de ne… plus jardiner. Je laisse des carrés entiers de ce « Tiers paysage » que je délimite par un petit cordeau : je n'y interviens pas, je laisse l'herbe faire, sans labourer, sans désherber, sans ramasser les feuilles. À l'intérieur, les plantes se ressèment d'elles-mêmes, et nourrissent les insectes et les oiseaux. Pour moi, il est important que les jardins retournent à leurs racines sauvages et nourricières et ne se contentent plus d'être spectaculaires.
Entretien paru dans le Hors-série 39 d'Architectures À Vivre : Maisons de plein air !