Rédigé par Agence Observatoire | Publié le 29/08/2022
Le Département de la Seine-Maritime est engagé depuis plusieurs années dans des actions de coopération décentralisée au Liban sous la forme d’apports financiers et en ingénierie. La crise économique et sociale que traverse ce pays depuis l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a amené le Département à renforcer ses actions et à concevoir cette saison libanaise en Normandie en soutien à la communauté artistique.
Haut lieu patrimonial et touristique de notre Département, l’abbaye de Jumièges a été immédiatement identifiée pour devenir l’épicentre de cette saison. Lieu de pèlerinage pour toute la génération romantique, celle-là même qui fit de l’Orient la destination de ses voyages, elle est encore aujourd’hui une source d’inspiration et de création pour les artistes.
L’architecte Hala Wardé y a construit des correspondances qui font puissamment résonner les œuvres de l’installation A Roof for Silence au centre de laquelle, la traduction des œuvres d’Etel Adnan en céramique, un des derniers projets de l’artiste, prend place. Fruit de la collaboration avec le Pôle Céramique Normandie, ces huit céramiques sont un vibrant hommage à la peintre et poétesse récemment disparue ainsi qu’à la tradition céramique libanaise.
Le logis abbatial de l’Abbaye, dédié depuis quinze ans à la présentation de photographie plasticienne, accueille l’exposition Au bord du monde, vivent nos vertiges, exposition collective de seize artistes libanais sous le commissariat de Laure d’Hauteville et de Clémence Cottard-Hachem. Intégralement produite au Liban, elle rassemble des œuvres conçues après le 4 août 2020 et encore inconnues du public en Europe. Elles disent de ce pays « au bord du monde », ce que seuls l’art et les artistes rendent intelligible, la force des liens, ce qui vit, résiste et unit les peuples et les cultures en dépit des vicissitudes, par-delà les frontières et le temps.
Sandra Predine Ballerie
Commissaire générale de la saison libanaise
A ROOF FOR SILENCE
CHŒUR DES RUINES DE L’ABBATIALE NOTRE-DAME
15 JUIN - 6 NOVEMBRE 2022
A Roof for Silence est un projet architectural et culturel itinérant, créé par l’architecte Hala Wardé. Cette installation a été dévoilée pour la première fois en 2021 à l’occasion de la Biennale d’architecture de Venise. Sa deuxième étape est double en 2022 le projet étant présenté concomitamment au Palais de Tokyo à Paris du 15 avril au 24 Juillet 2022, dans le cadre de l’exposition collective « Réclamer la terre » et à l’Abbaye de Jumièges du 15 juin au 06 novembre 2022, au cœur de l’édifice Notre Dame dans une forme appropriée au site.
Il s’agit d’une oeuvre globale conçue comme une partition musicale faisant résonner les disciplines, les formes et les époques pour provoquer l’expérience sensible d’une pensée articulée autour des notions du vide et du silence comme conditions temporelles et spatiales de l’architecture. Une installation « révélationnaire » selon la formule de Paul Virilio, en hommage au célèbre penseur et urbaniste. L’installation à Jumièges, présentée dans les ruines de l’abbatiale Notre-Dame, est une variation en extérieur de celle qui a été montrée en 2021 dans les greniers à sel de Venise, à l’occasion de la 17ème Exposition Internationale d’Architecture – La Biennale di Venezia. Elle est ici repensée à partir de ses composants principaux, réinterprétés pour s’inscrire et dialoguer avec l’architecture exceptionnelle et singulière du lieu, et de la nature qui l’entoure.
Une composition structurée en résonance avec l’architecture abbatiale devenue ruine ; ses deux tours octogonale et circulaire, sa grande nef sans toit, le rythme alterné de ses piliers et voutes d’arêtes des bas-côtés, son choeur et ses chapelles rayonnantes... autant de fragments et de traces qui servent d’ancrage pour l’installation A Roof for Silence et ses œuvres, elles-mêmes adaptées selon les situations pour entrer en dialogue avec les pierres et le paysage. Comme à Venise, l’architecture du lieu accueillant l’installation fait partie intégrante de l’exposition, qui l’expose à son tour. L’abbatiale de Jumièges devient ainsi la première oeuvre exposée parmi celles des autres artistes, ses ruines entrant en résonnance directe avec les antiformes de Paul Virilio, et la pensée développée autour des notions de vide et d’entre-deux. Les éléments naturels qui traversent le bâtiment-ruine seront également absorbés et retranscrits dans l’installation architecturale : Lumière du jour, découpage du Ciel par la géométrie des ruines, mouvements des Nuages, sifflements du Vent, bruissements des Arbres, etc.
Oeuvres exposées :
« Olivéa : Hommage à la Déesse de l’olivier ». Reproduction en céramique de huit des seizes toiles originales d’Etel Adnan par Alexandra Catelain-Orange, céramiste d’art du pôle Céramique Normandie, 2022 Antiformes, Paul Virilio, peintures à l’huile 1961, filmés par Alain Fleischer, 2021
Les oliviers de Bchaaleh, Fouad Elkoury, photographies, 2020
Metamorphoses, Hala Wardé, 2021
« Conversation with my Soul », composition musicale à partir du poème Night d’Etel Adnan interprété par Mika. Soundwalk collective, 2021
Abbaye de Jumièges, VIIème siècle
En option : « Les oliviers, piliers du temps », Alain Fleischer, film 2021
AU BORD DU MONDE, VIVENT NOS VERTIGES
LOGIS ABBATIAL DE L’ABBAYE DE JUMIÈGES
9 JUILLET - 6 NOVEMBRE 2022
Saisie par l’ampleur de l’effondrement et par la déchéance du pays, la force de création des artistes libanais s’inscrit aujourd’hui comme une marque de résistance des imaginaires. Leurs discours portent tout à la fois les drames qui continuent d’être vécus et les possibles perspectives d’avenir. Le Liban, pays de légendes et de mythes, fait de multiples paradoxes entre richesse et pauvreté, douceur et cruauté, vérités et absurdités, est cette figure abîmée qui incarnerait un bord du monde. Un pays dans l’entre-deux, dont le présent trace les limites avant la chute ou l’ascension. Un pays que l’on habite en état de seuil, au cœur de la violence de ce qui est. Les spectres toujours éveillés d’une guerre civile longue de quinze années, la chute totale et sans précédente d’une société, ses crises : politique, économique, environnementale, ses drames sociaux, sont le quotidien des libanais. Il y a là, tous les jours, un bord du monde qui touche aux extrêmes. En suspension ou en bascule, se vivent les vertiges d’un présent vidé ou en trop plein. Face aux traumatismes intergénérationnels, aux présents d’incertitudes, à la corruption viscérale, aux pénuries, on continue pourtant à vivre, à s’adapter, on s’autorise aussi le droit de rêver. Ce n’est pas de la résilience, c’est un don du sens, un partage, une dynamique de liens, une circulation des pensées et des idées. Alors on donne sens aux vertiges non pas comme une angoisse mais comme une aspiration, un point de départ vers d’autres possibilités d’être et d’habiter.
Cette exposition réunit seize photographes et vidéastes libanais, son parcours invite selon trois séquences à une interrogation sur les limites et les possibles de la représentation, de la narration et de la sublimation. Il propose une lecture sensible qui tente de saisir les enjeux de la création dans un contexte d’effondrement. Comment les traumatismes et catastrophes affectent-ils les corps et les esprits ? Comment les artistes traduisent-ils les dynamiques de territoires, les circulations, les ancrages et les résonances historiques et culturelles ? Comment confronter et transcrire les émotions individuelles ou collectives, les obsessions, les échelles du temps, les effacements ? Comment représenter les visions et les désirs d’un renouveau ? De manière nécessairement fragmentaire, se dévoilent des questionnements politiques et poétiques où les expériences vécues, les sursauts du réel et les rivages de la fiction cultivent l’élan critique et créateur. Ici s’ouvre et s’éprouve une brèche d’idées lumineuses touchant à une exploration des langages photographique et visuel. Une brèche comme une percée, où se vivent les vertiges, ceux-là qui puisent dans ce qui ne peut être détruit.