Touché par la grâce. Celle d'un halo, traversant le mur évidé d'une croix de l'église de la Lumière, à Osaka, au Japon. S'il s'agit d'une conversion, elle est architecturale. Et conduira le journaliste Philippe Séclier à neuf années d'une quête folle, quasi obsessionnelle : photographier, du premier au dernier, tous (ou presque) les édifices de l'architecte Tadao Ando. Né de cette traversée in extenso de l'œuvre du maître nippon, l'Atlas Tadao Ando, (Atelier EXB, 2021) est, osons le mot, une bible, documentant plus de 120 lieux en 2 300 photographies.
Mais là où l'auteur aurait pu être tenté de suivre les codes du livre d'architecture traditionnel, avec ses larges vues d'ensemble et ses photos réalisées à la chambre, Philippe Séclier en a pris le contrepied. L'auteur opte en effet pour un parti-pris minimaliste, en noir et blanc, magnifiant les jeux de lumière des édifices du prix Pritzker, la pureté de leurs volumes et de leurs formes, avec des images capturées… au smartphone ! « Comme l'aurait fait n'importe quel badaud, explique Philippe Séclier. Quand j'ai commencé à photographier, j'étais un visiteur comme les autres. Par la suite, le choix de ne pas prendre un appareil photo au sens classique du terme s'est finalement révélé très bien adapté, ajoute-t-il. Le smartphone, comme un prolongement évident de la main et de l'œil, me permettait en effet de déambuler plus facilement dans des espaces dans lesquels j'avais souvent peu de temps. » En résulte une mosaïque de vignettes organisées de façon sérielle, mettant l'accent sur les ambiances et les détails des lieux rencontrés.
L'Atlas Tadao Ando est donc un ouvrage, à ouvrir et à ré-ouvrir, et dont la profusion visuelle déconcerte au premier abord, plonge le spectateur dans une expérience quasi méditative, par la répétition, la succession, bâtiment après bâtiment, de formes géométriques et de jeux de lumière, saisis dans leur ressemblance et leurs infimes variations. « On y retrouve peut-être un peu au passage de cette sensation physique particulière qui se produit lorsque l'on entre dans une œuvre de Tadao Ando », souffle Philippe Séclier.
En 2017, la rencontre avec le maître, enthousiasmé par l'unité de regard offerte par le projet, permet à l'auteur d'accéder à des maisons rarement documentées, avant d'achever son périple à Paris, avec la Bourse de commerce que le prix Pritzker vient de terminer. Au passage, l'architecte en profite pour faire compléter la bibliographie de l'ouvrage, sans doute la plus complète à ce jour, avec une liste époustouflante de publications internationales… à l'image du nombre de bâtiments documentés dans ces pages. Mais plus que son exhaustivité, ce qui fait la force de l'Atlas Tadao Ando reste son ambivalence, à mi-chemin entre le beau livre d'architecture et le carnet de voyage. Philippe Séclier, à chaque édifice photographié, le replace en effet en quelques mots dans le contexte de son pèlerinage, nous conduisant ainsi sous une petite pluie fine et automnale à la fondation Langen, à Neuss, dans les environs de Düsseldorf, ou jusqu'au temple de l'Eau, à l'écart de tout, sur l'île d'Awaji, où il allume un cierge en mémoire de son éditeur Xavier Barral, qui ne verra pas l'ouvrage publié. L'isolement alors n'existe plus, ne reste que la lumière tendre et zénithale, et la douceur si particulière du béton japonais…