Depuis l’Antiquité, les masures fascinent, mais les raisons de cet attrait pour lézardes et fissures ont évolué au fil des siècles. Publié aux éditions Alternatives, Habiter la ruine, panorama d’une vingtaine de réalisations sélectionnées du Mexique à la Chine, prouve à quel point les vestiges se retrouvent actuellement dans l’air du temps. Si dans les années 1990, les adeptes de lieux inoccupés, attirés par les frissons de l’urbex – abréviation de l’anglais urban exploration –, se sont multipliés, la reconversion de bâtiments à l’abandon est aujourd’hui motivée par des préoccupations environnementales et financières. Après avoir été un symbole nostalgique, les ruines, en à peine deux décennies, se seraient-elles transformées en espoir postmoderne ? Dans un préambule passionnant, Olivier Darmon retrace cette évolution paradoxale, du pastiche romantique délabré au bâtiment réinventé, pour un xxie siècle qui se fait fort de reconvertir espaces et matériaux usés. Mais qu’en est-il des édifices choisis ? Les constructions sélectionnées, hors remise aux normes et rétablissement à l’identique, subliment la poésie de la ruine : « Elle devient en quelque sorte le paysage de la construction neuve qui est insérée dans ses murs ou greffée à côté », écrit l’auteur. Les histoires sont alors inscrites dans les pierres décrépies, comme celles de l’Ashley Castle, dont la reine fut décapitée à 17 ans par Marie Tudor, et aujourd’hui transformé en résidence… de vacances. Tout juste regrette-t-on, que si les lieux parlent, l’auteur, ne laisse pas toujours la parole aux architectes des différents projets… L’intérêt des bâtiments est en effet accentué par les explications de leurs concepteurs et leur vision, toujours très personnelle, de la désagrégation des édifices : « L’incomplet, l’à moitié fait, est un thème qui m’a toujours intéressé. La vie est une ruine, l’œuvre d’art n’existe pas, c’est une course de lévriers ; tu cours sans jamais attraper le leurre », décrypte par exemple le pionnier Ricardo Bofill, dont le projet La Fàbrica ouvre l’ouvrage. En 1973, dans la banlieue de Barcelone, il métamorphose une cimenterie ayant pollué la ville catalane pendant plus d’un demi-siècle pour abriter atelier et maison, démontrant que les causes perdues n’existent pas… du moins en architecture.