Derrière une sculpturale façade en aluminium blanc plié, des espaces à la richesse insoupçonnée se jouent d’imposantes contraintes pour offrir aux habitants une expérience de vie unique et surprenante. Sur la rive gauche de la Loire, face à l’Île de Nantes et ses célèbres Machines et hangar à bananes, l’ancien village de pêcheurs et de marins de Trentemoult est depuis longtemps une escale privilégiée. À la fin du XIXe siècle déjà, le lieu est très prisé des habitants de la cité des Ducs : la création de la ligne de bateaux à vapeur des Roquios dès 1887 permet en effet d'accéder facilement aux régates, baignades et guinguettes qui s’y déroulent. Mais au fil du temps, la population résidente évolue, composée principalement d’ouvriers, main d'œuvre pour les chantiers navals tous proches. Un déclin s’amorce après-guerre, le village étant déclaré insalubre en 1946, puis la ligne des Roquios abandonnée en 1970. L’année 1979 marque un tournant, la création d'un port de plaisance relançant d’un coup l'intérêt pour le site. Dix ans plus tard, le tournage du film La Reine blanche de Jean-Loup Hubert fini de rendre Trentemoult de nouveau attractif. Les prix de l'immobilier flambent, la liaison fluviale est finalement rétablie en 2005. Depuis, nantais et touristes aiment de nouveau s’y presser pour mieux se perdre au milieu des étroites ruelles et des maisons aux façades colorées, ou boire un verre en terrasse pour profiter d’un point de vue unique sur les couchers de soleil qui illuminent le pont de Cheviré et les Anneaux de Buren.
Port d’attache
Annie Lebeaupin Saint-M'Leux possède ses attaches à Trentemoult : elle y est née, y a grandi, y vit et exerce son métier d’architecte. En 2011, elle décide avec son mari de diviser leur terrain en deux pour vendre leur maison et en construire une nouvelle mieux située : à même le quai, face au fleuve. Cet emplacement presque idéal n’a pourtant pas que des avantages : la parcelle est irrégulière, étroite – 32 mètres de long pour seulement 7 au plus large –, orientée plein nord et en zone inondable ! Le Plan de prévention des risques d'inondation prévoyant un fort aléa, impossible d’implanter un programme d’habitation au rez-de-chaussée. C’est donc l’agence, le garage et la piscine qui y prennent place. L’étude de sols révèle, elle, la présence de sables argileux qui impose le recours à des fondations spéciales : dix-sept pieux sont ainsi utilisés pour assurer une stabilité optimale à la construction. De plus, le Plan local d’urbanisme (PLU) oblige à ce que les hauteurs de la façade et du faîtage soient alignées à celles de la construction voisine… un bar-tabac dont les habitués peuvent être bruyants ! Pour se protéger de cette animation, le couple décide donc d’implanter les pièces de vie au second et dernier étage, et de mettre en œuvre une isolation extérieure efficace en laine de roche et des menuiseries aluminium acoustiquement performantes.
Un phare dans la nuit
Depuis le quai, la façade de l’habitation, intrigante, semble mimer une voile gonflée par le vent. Plié tel un origami, son bardage en aluminium blanc de 3 millimètres d’épaisseur vibre sous les rayons du soleil ou reflète la course des nuages. À la nuit tombée, ses arrêtes vives se découpent d’autant plus que la lumière provenant des ouvertures accentue les effets de profondeur et les lignes de force du projet. Un signal remarquable dans le village, et même depuis le petit port de plaisance tout proche ! À l’opposé, côté jardin, la maison semble s’étirer pour mieux aller chercher la lumière du sud. Deux volumes en L – l’un en béton recouvert d’une simple peinture blanche, l’autre bardé de bois – délimitent en creux une petite terrasse intimiste, partiellement protégée des vues extérieures et du vent. Un havre de paix loin des tribulations du rivage et qui profite à tout le rez-de-jardin. Celui-ci, d’une superficie de près de 80 mètres carrés et entièrement traité avec des matériaux bruts en prévision des risques d’inondation, est aménagé de manière minimale et ultra-pratique. L’agence d’architecture, au premier rang, est pensée comme un espace modulable : tour à tour atelier, galerie d’exposition ou place de stationnement selon les besoins. Noyau central de l’étage (associé au bloc technique comprenant l’ascenseur), le volume de la piscine en double hauteur participe de cette atmosphère épurée au service du fonctionnel, tout en organisant les circulations autour.
Garder le cap
Le premier niveau accueille deux salles de bains et trois chambres, dont celle du couple qui profite du calme et de larges cadrages sur le jardin. Au dernier étage, salon, salle à manger et cuisine sont, eux, organisés sur un plateau libre traversant avec d’un côté, un petit balcon filant à la vue ébouriffante sur la Loire, et de l’autre, une vaste terrasse qui profite pleinement de l’ensoleillement. Ici, comme partout dans la maison, ne se ressent à aucun moment la faible largeur de la construction : en multipliant les perspectives et les points de fuite sur l’extérieur ou les différents niveaux, l’architecte dilate au maximum les volumes, met en relation chaque espace, joue sur la fluidité et l’inattendu. Pour entretenir ce sentiment d’amplitude, tout en inscrivant l’habitation dans le gabarit fixé par le PLU, la gestion des hauteurs sous plafond a été cruciale et délicate. Ainsi, afin que la pièce de vie ait assez d’envergure, Annie Lebeaupin Saint-M'Leux opte pour le strict nécessaire dans l’agence et les deux chambres du dessous – avec respectivement 2,25 et 2,50 mètres –, ce qui permet de dégager jusqu’à 2,95 mètres au plus haut point du séjour. La preuve d’une attention constante portée aux plus petits détails, qui se répercute aussi bien dans l’ergonomie des poignées des rangements de la cuisine que dans le dessin minutieux des salles d’eau, et qui rappelle que les propriétaires sont aussi de grands férus de bateaux, un univers où chaque centimètre compte et où le fonctionnel est toujours le maître-mot. Un cap confirmé par l’architecte pour qui la « forte culture maritime, couplée à une passion pour l’architecture japonaise, a guidé la conception du projet ». Ultime exemple sur la terrasse haute où, les cheveux au vent et solidement arrimé au délicat garde-corps en bois, l’on se croirait à la proue d’un navire. Un dernier appel à larguer, si ce n’est les amarres, du moins les certitudes.