C'est en l'an 2000 que le couple Wardle fait l'acquisition de la ferme Waterview sur l'île Bruny, située au sud-est de la Tasmanie. Un élevage de moutons anime déjà les 440 hectares de la propriété ainsi qu'un cottage de style victorien : construit en bois en 1840 pour le capitaine Kelly, il rappelle que l'île fut longtemps le point de départ de baleiniers. Pourtant, John Wardle est architecte et fondateur de l'agence qui porte son nom. Basée à Melbourne et comptant quarante-cinq collaborateurs, elle travaille sur des projets publics de grande échelle mais a toujours souhaité réserver une part de son activité à des projets pour les particuliers. Pour leur lieu de résidence secondaire, l'intention première était de préserver le caractère agricole du site en construisant de nouveaux abris pour le petit bétail, mais aussi de renouveler le paysage par la plantation de 6 000 arbres d'essences indigènes. Le pari est environnemental et les mêmes préoccupations président à la conception d'un nouveau bâtiment destiné à loger les tondeurs qui viennent de loin pour exécuter leur tâche. Le reste du temps, amis et famille viennent aussi y séjourner. Parfois, John Wardle y organise des sessions de travail avec ses collaborateurs pour s'extraire de la ville et réfléchir à des projets en cours. En conséquence, le programme de ce qui s'apparente à un gîte est simple : pièce de vie avec cuisine, chambres et salle de bains.
« La géométrie oblique du bâtiment a nécessité que chacune des pièces de la structure soit découpée à la main. » - John Wardle, architecte
DYNAMIQUE DES VOLUMES
Dix années de réflexion ont précédé la construction. D'une part, le cottage de style victorien est inscrit sur la liste du Tasmania Heritage Council (le service local des monuments historiques) et son approbation était indispensable pour l'obtention du permis. D'autre part, le paysage à lui seul impose de minimiser l'impact visuel du nouvel édifice.
Pour John Wardle, c'était une « responsabilité de construire sur un tel site ».
Par le choix de la tôle ondulée et d'une ossature bois, l'architecte souligne et rappelle le contexte agricole. Il le fond aussi dans son environnement par la capacité du matériau à réfléchir la lumière, tout comme le fait l'océan voisin. Quant au choix de l'emplacement où construire, s'il y avait déjà eu ici-même un abri pour les tondeurs - détruit dans les années 1980 par un incendie -, la volonté était que le bâtiment reste asservi à et en retrait par rapport au cottage. L'implantation s'est donc faite en contrebas, suivant les niveaux de la pente légère du terrain, vers une retenue d'eau qui forme un étang. Poussant le rapport à l'existant encore plus loin, le plan au sol fait apparaître que les façades est et ouest du bâtiment, tout comme ses cloisons intérieures, sont parfaitement parallèles à celles du cottage. De même, la baie vitrée de la véranda, creusée dans la façade nord, s'aligne sur celle de 1840 . Des contraintes du site, conjuguées à celles de la maison victorienne résulte une géométrie oblique : le volume, qui semble se tordre, s'amorce à l'ouest par la finesse d'un appentis fermé de volets en bois, pour se développer en un pignon généreux et largement vitré, ouvert sur l'océan à l'est. Selon John Wardle, c'est « un dessin ridiculement complexe » , qui n'a pas été sans poser quelques difficultés au moment de la réalisation.
UN CHANTIER SUR MESURE
Si l'île est facilement accessible pour les voyageurs depuis Melbourne (une bonne heure d'avion, puis autant de transport terrestre), l'acheminement de certains matériaux a été plus complexe et a imposé des délais supplémentaires au chantier. Ajoutez à cela un hiver très pluvieux et au final, la construction aura duré quatorze mois. L'expertise logistique du constructeur Scott Cordwell - dont c'est la première collaboration avec l'agence mais qui a depuis rénové le cottage -aura été des plus précieuses, que ce soit pour acheminer une bétonnière par ferry ou pour sa spécialité de charpentier.
« Il a travaillé lentement, mais c'est un perfectionniste, et la géométrie oblique du bâtiment a nécessité que chacune des pièces de la structure soit découpée à la main » , se souvient John Wardle.
Cette torsion extérieure est reflétée à l'intérieur par le revêtement entièrement composé de planches de bois d'une longueur de 75 centimètres. Ce module compose une trame régulière qui détermine le dessin des espaces et la taille des ouvertures. Toutes les pièces sont lambrissées des murs aux plafonds, les lames de bois étant posées à l'horizontale et sans décalage, hormis dans les chambres. Plusieurs essences de bois ont été utilisées, qu'elles soient locales, tel le pin venant d'un arbre de la propriété, ou issues du recyclage, comme les planchers en eucalyptus australien et les fines lames du bardage des chambres - trouvées au sud de la Tasmanie, celles-ci auraient dû servir à fabriquer des caisses à pommes mais étaient restées inutilisées depuis les années 1960.
Cette volonté d'une palette unique en termes de matériaux et de teintes rend les espaces fluides, presque sans attribution particulière, mais très protecteurs. Le paysage, lui, s'occupe du repos ou de l'inspiration.
Article paru dans Architectures À Vivre 95 : un air de vacances
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes John Wardle Architects John Wardle, Andrew Wong, Chloe Lanser et JeffArnold
♦ localisation North Bruny Island, Tasmanie (Australie)
♦ livraison juin 2011
♦ études 2 ans / travaux 14 mois
♦ surface 136 m2
♦ matériaux acier galvanisé ondulé (bardage murs extérieurs et toiture) / acier (ossature) / pin microcarpa (revêtement intérieur) / bois recyclé extrait de caisses de pommes (revêtement chambres) / eucalyptus australien Yellow Stringybark recyclé (sols) / brique recyclée (conduit de cheminée)
♦ fournitures menuiseries Euro Trend Windows & Doors / cheminée Nectre / quincaillerie Lockwood / luminaires Produzione Privata / robinetterie Zucchetti / appareils sanitaires Caroma / appareils de cuisine Smeg / accessoires électriques Clipsal / œuvres d'art en bois aux murs par Michele De Lucchi