Teddy est un chien heureux. Son royaume s'est agrandi, embelli et empli de lumière. Un nouveau terrain de jeux dont profitent également ses maîtres James et Jo, un couple d'Australiens installé à Northcote depuis quelques années. Dans ce quartier tout proche du centre-ville de Melbourne, la gentrification bat son plein depuis le milieu des années 1990. Les parcs, les trottoirs bordés d'arbres, les nombreux cafés branchés et boutiques à la mode attirent de plus en plus une population aisée, désireuse de profiter de la douceur de vivre et de l'ambiance arty qui s'en dégagent. Autres éléments de séduction : les nombreuses maisons en briques qui scandent les rues de leurs façades colorées, patrimoine local en partie protégé. Alignées les unes contre les autres sur d'étroites et longues parcelles, ces constructions séculaires sont toutes organisées selon un même plan traversant. Hémisphère sud oblige, seules les façades nord reçoivent les doux rayons du soleil. Chez James, Jo et Teddy, c'est derrière celle-ci que se trouvent les chambres. À l'opposé, côté jardin, leurs pièces de vie - qui plus est cloisonnées - sont donc en peine de lumière. Une situation qui ne convient plus à des propriétaires avides de changement mais quelque peu paralysés par un site aussi contraignant. Une balade va tout changer…
CAPTURER LE CIEL
Au cours d'une promenade dans le quartier, le trio découvre une déclaration de permis de construire posée sur une maison orientée comme la leur, et par conséquent soumise aux mêmes contraintes d'exposition. Séduits aussi par la forme naissante de ce projet, ils contactent l'agence en charge de celui-ci pour lui soumettre leur problématique en espérant une réponse toute aussi créative.
« Leur salon, cuisine et terrasse étaient sombres, humides, introvertis et sans caractère, se remémore l'architecte Ben Callery. Sur cette parcelle large de 6,5 mètres seulement, légèrement en pente, avec des mitoyens aveugles de chaque côté et l'interdiction d'intervenir sur la façade protégée à l'avant, faire circuler la lumière relevait de la gageure. »
La solution d'inverser les fonctions vite mise de côté pour des raisons économiques, l'agence propose plutôt de réunir les différents espaces de vie dans un seul et même volume. Une extension de 75 mètres carrés - en partie construite sur l'empreinte des anciennes cuisine et salle de bains -, qui, certes, grignote de la surface de jardin, mais fait gagner en fonctionnalité l'ensemble de l'habitation… tout en faisant office de piège à lumière. Toute l'astuce réside ici dans la toiture de ce nouvel espace qui, d'un geste simple et élégant, va chercher le soleil : comme soulevée puis courbée à son extrémité nord, elle enjambe en effet la maison en front de rue pour mieux venir capturer le ciel. Ce dessin ingénieux est le fruit de longues recherches - plus d'un an d'études -, de nombreuses modélisations de l'existant, du terrain mais aussi des volumes alentours, et résulte également de l'observation minutieuse sur site des ombres et lumières portées et de fréquents échanges avec les futurs usagers. « Une fois tous les ingrédients analysés et toutes les contraintes intégrées, nous remarquons souvent que les projets les plus excitants naissent presque naturellement », analyse Ben Callery. La force même de l'évidence !
CÉLÉBRER L'ARRONDI
Fil directeur du projet, la forme courbe ponctue certains éléments forts de l'aménagement intérieur : plan de travail, mosaïque de la crédence, bureau, étagères mais aussi la nouvelle terrasse. « Comme un reflet du plafond, cette dernière célèbre l'arrondi pour mieux adoucir la rupture entre la construction et l'espace extérieur » , interprète l'architecte. Son léger surplomb (dénivelé de près d'un mètre entre les niveaux de la maison d'origine et du jardin) est mis à profit pour transformer les marches nécessaires en autant d'assises. À l'extérieur comme à l'intérieur, couleurs et matériaux sont minutieusement sélectionnés pour souligner les lignes fortes du projet. Ainsi les menuiseries sont en acier noir afin de contraster avec les murs et le plafond blancs et mieux marquer le décollement de ce dernier. Ceinturée de bandeaux vitrés qui accentuent l'effet d'espace en laissant s'échapper l'œil, la toiture semble ainsi littéralement flotter, prête à prendre son envol. Les perspectives cadrées sur l'antique toit en tuiles viennent alors mettre en tension vernaculaire et contemporain, tout comme dans la nouvelle salle de bains ultra design (anciennement le salon) où les murs de plâtre ont été grattés afin de retrouver la brique originelle. Une célébration du patrimoine qui ravit les propriétaires. « L'intervention de l'agence offre tout ce dont nous rêvions, résument ainsi James et Jo . Plus de lumière, plus de volume, plus d'ouverture. Mais aussi un espace incroyablement beau, à admirer tous les jours » . Et Teddy d'acquiescer d'un aboiement.
► Article paru dans Architectures À Vivre 106 spécial rénovation