Architectures À Vivre : Comment est née votre collaboration avec De Padova ?
Elisa Ossino : Je connais Roberto Gavazzi, le directeur général de Boffi et De Padova, depuis longtemps. Nous travaillons ensemble sur le stylisme photo de Boffi, les mises en scène des catalogues. Lorsque Boffi a racheté De Padova en 2015, avec l'idée de développer une approche globale et complète de la conception des espaces à vivre, Roberto m'a demandé de dessiner… quelque chose ! Cela avait l'air assez évident pour lui, et je crois que le fait que je connaisse aussi bien l'univers Boffi était en effet cohérent avec l'impulsion qu'il souhaitait donner à la synergie des deux marques. Nous avons commencé avec la lampe Nota (2017), puis le programme pour le salon Erei (2018), composé d'un canapé et de tables basses, et enfin les luminaires Elementi.
A.À.V. : Quelle a été la ligne directrice de la conception du programme Erei ?
E. O. : Je voulais travailler sur une certaine pureté des formes, pour obtenir un objet sculptural et léger. J'ai procédé « à la gomme » en quelque sorte. Pour le canapé, l'idée était par exemple de faire disparaître toutes les subdivisions de l'assise et du dossier. Les pieds sont très fins, pour mettre le meuble en lévitation. L'autre axe essentiel portait sur le confort, la douceur. Cet aspect est d'ailleurs le fruit d'un développement long, en collaboration étroite avec l'entreprise. Tous les matériaux ne fonctionnent pas avec cette forme et cette échelle de mobilier. Le résultat produit un contraste intéressant entre la vision du meuble et son usage. J'aime beaucoup cette idée de double perception : d'abord la prégnance de la forme, dont on peut au premier abord penser qu'elle n'a été dessinée que pour elle-même, et ensuite la surprise procurée par la sensation de confort dès lors que l'on s'assoit dessus. Ensuite, nous avons mis au point toute une gamme d'éléments complémentaires - banquette d'angle, assise sans accoudoir, tables basses, lit -, un programme, au sens architectural du terme donc, avec cette idée que l'utilisateur puisse créer son petit paysage intérieur personnalisé, sur une trame donnée par les piétements.
A.À.V. : C'est l'architecte qui parle ?
E.O. : Disons qu'à mon sens, le meuble ou l'objet est indissociable de l'espace, et vice versa. Cela correspond d'ailleurs bien à la philosophie de Roberto Gavazzi. Il y a une forme d'abstraction dans la manière dont j'aborde le projet, et je puise beaucoup mon inspiration dans l'art, notamment chez les surréalistes, comme Magritte. Ses tableaux représentent des lieux en lévitation, parois improbables. J'aime l'idée que l'on traverse un endroit comme une peinture en volume, et qui serait séquencé par des signaux visuels émis par les objets. Lorsque j'ai dessiné les lampes Nota ou Elementi, c'est également cette vision qui a guidé la conception. De très longs tracés dans l'espace, avec des formes simples, une sorte de géométrie simultanément en deux et trois dimensions. Cette recherche de la forme pure est récurrente dans mon travail. Mais je crois que c'est aussi à ce prix-là que nous pouvons dessiner des choses qui soient à la fois contemporaines et en même temps classiques. Qui puissent durer dans le temps. L'enjeu est d'autant plus important lorsque l'on travaille pour des marques de haute facture !
A.À.V. : Pouvez-vous développer ?
E.O. : Nous vivons dans un monde saturé d'objets, de choses, de couleurs. Je n'invente évidemment rien en disant cela, mais en tant que designer, il me semble de fait que mon travail doit aussi consister à ménager des vides. D'où probablement ce rapport étroit à la géométrie, à la grille, cette recherche de la légèreté, de lumière, qui sont pour moi des générateurs essentiels de confort. La force ou l'identité forte d'un lieu et le vide ne sont pas antinomiques. Par contre, il faut porter une attention toute particulière au détail, à la finition, à la sensualité d'une matière. Je suis sicilienne, j'ai grandi au milieu des temples gréco-romains et des palazzi magnifiques ! C'est d'ailleurs pour cela que je suis devenue architecte. J'ai donc toute cette tradition bien inscrite dans ma mémoire historique, elle fait partie de moi. J'aime les classiques et le contemporain, j'essaie de faire une synthèse des deux. Les tendances actuelles sont une part importante de l'activité du studio - nous faisons du stylisme photo, de la scénographie pour des boutiques -, mais il faut trouver la bonne balance, utiliser tout cela de façon légère. C'est la condition pour que ce que l'on dessine reste, perdure au delà de la mode, du moment.
⇒ Entretien paru dans Architectures À Vivre 104 : Maison, Tendances 2019