Le Bauhaus ? « Tout le monde se le rappelle en noir et blanc, mais la couleur était très importante pour nous. »
Cette affirmation sort de la bouche de son fondateur, l'architecte Walter Gropius - ou plutôt de celui qui l'incarne sur petit écran. Parmi la multitude de documentaires et d'ouvrages qui fêtent le centenaire du mouvement, une mini-série, Bauhaus -Un temps nouveau , en replay sur la chaîne Arte, donne à voir l'effervescence colorée du courant artistique, loin de son image de blancheur et d'acier chromé. Les métiers à tisser y filent des voilages aux motifs chatoyants et abstraits, les soirées s'y tiennent en d'exubérants costumes cubistes, et lorsqu'on débat, les insultes sont vives. Il ne faut pas moins de six épisodes pour reconstituer la vie dans les ateliers de Weimar, sur fond de romance entre Gropius et l'une de ses étudiantes - la blonde et rebelle Dörte Helm. Mais parce que derrière le plateau de tournage, il y a l'envers du décor, on ne saurait que trop vous conseiller une lecture, avant ou après le binge-watching. Et pour cela, le casting parfait se trouve chez l'éditeur Taschen, dans les portraits d'un album de famille, Bauhausmädels. Si l'un privilégie la fiction et l'autre les photos d'époque, série et dictionnaire biographique sont merveilleusement complémentaires : ils ont pour point commun de reconsidérer le mouvement sous le regard des femmes.
Car avant de devenir source d'inspiration pour l'architecture moderne, le Bauhaus était avant tout une école, pluridisciplinaire et anticonformiste. De 1919 à 1933, sous l'égide de son fondateur Walter Gropius, l'établissement explose les frontières entre les arts, dans des domaines aussi variés que la peinture, le travail du verre ou de la céramique. Sous la république de Weimar, à environ 250 kilomètres de Berlin, le Bauhaus regroupe une communauté de professeurs et d'élèves, qui, avec une liberté de mœurs choquante pour l'époque, expérimentent, de la création de mobilier aux performances de danse. Cent ans plus tard, la postérité retient le nom des enseignants, à l'image du célèbre peintre Paul Klee, ou d'anciens écoliers, tel que le designer Marcel Breuer, inventeur de l'iconique chaise B3.
Si l'école a pour vocation la réconciliation entre l'art et l'industrie, cette recherche se fait sur un pied d'égalité en instaurant la parité entre hommes et femmes, sans distinction de classes sociales. 462 étudiantes passent donc sur les bancs de l'école. Mais dans une Allemagne aux prises avec la menace du nazisme, ces beaux principes sont très vite revus à la baisse, les étudiantes écartées des disciplines reines et reléguées au tissage, ce qui donne son fil rouge à la saga Arte.
Dörte Helm, jeune bourgeoise de Rostock, y rompt avec sa famille pour venir étudier au Bauhaus, avant de se heurter à l'interdiction de s'inscrire aux cours « masculins ». Entre rupture avec les conventions et lutte féministe, qui étaient-elles, ces jeunes femmes avant-gardistes ? « Il est difficile de ranger plus de 400 existences dans une case » , admet dans son introduction Patrick Rössler, auteur de Bauhausmädels. Les trajectoires des filles du Bauhaus se caractérisent en effet par leur diversité, mais pour beaucoup d'entre elles, le choix de l'école apparaît comme décisif, leur permettant d'étudier, de s'échapper d'un milieu bien-pensant, et au final, de donner une autre orientation à leur vie. En leur temps, elles seront un moteur fort d'émancipation féminine, la presse faisant d'elles le modèle d'une génération : coupe à la garçonne et large sourire, Karla Grosch, professeur de gymnastique et de sport, fait ainsi la première page d'un reportage dans le magazine Die Woche , en 1930. « Elle sait ce qu'elle veut et fera son chemin », affirme le texte, mais le portrait reste anonyme. L'une des héroïnes d'Arte est ainsi Gunta Stölzl, première femme à avoir accédé au poste de maître, à l'atelier textile. Un travail méconnu et une production importante, qui met en lumière tout un paradoxe : c'est l'attractivité des tissages, très populaires, qui contribuera, dans l'entre-deux-guerres, à la rentabilité, mais aussi au succès phénoménal du Bauhaus.
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