Piétons, cyclistes et navettes électriques ont remplacé la valse jaune des taxis. Le bitume lui, a laissé place aux arbres, aux carrés de verdure et aux plans d'eau. Çà et là, des bornes coiffées de panneaux photovoltaïques permettent de recharger gyropodes et smartphones. Entre les façades des gratte-ciel bariolées par les affiches de comédies musicales, tournoient quelques drones-transporteurs. Nous sommes à Times Square, à New York, en 2023, dans une vision partagée par l'agence interdisciplinaire 3deluxe, spécialisée en architecture et design. Cette projection, quoiqu'étouffante à certains égards, porte tout de même en elle un message réconfortant. D'autant plus qu'elle n'est pas complètement abracadabrante. Et c'est peu de dire qu'une projection, même subjective, même incomplète -quid des périphéries, des territoires ruraux ou isolés ? -, même hâtive ou contestable, pour peu qu'elle soit un minimum optimiste et réaliste, est aujourd'hui bienvenue.
Car l'époque que nous traversons n'est pas des plus réjouissantes. La Covid-19, le réchauffement climatique, les inégalités sociales ou les crises économiques ont de quoi saper le moral des plus confiants, parce que ces bouleversements apportent dans leur sillage leur lot de défis, d'interrogations et de remises en cause. Alors, nous avons souhaité partager avec vous cette vision d'un futur proche et réconfortant, tout en regrettant que les équipes de 3deluxe ne se soient pas aussi penchées sur la problématique de l'habitat individuel. À quoi ressembleront nos maisons, nos appartements en 2023 ? Après tant de mois passés confinés chez soi, toute la journée, toute la semaine, la question ne peut que brûler les lèvres - même si, et c'est tant mieux, personne n'a attendu qu'un virus ne vienne perturber nos certitudes pour s'interroger.
Projections et (in)certitudes
Selon certains, nos logements feront la part belle à la domotique, aux solutions connectées. D'autres imaginent de nouveaux usages, de nouvelles fonctions : ils en tiennent pour exemple l'essor récent du télétravail, lequel a contraint un grand nombre de Français à se créer un coin bureau, que ce soit par le biais de travaux de réaménagement ou encore d'extension. Il y a aussi ceux qui, se recentrant sur les problématiques environnementales, plaident pour des habitations frugales, construites à partir de matériaux plus durables comme le bois ou la paille. Évidemment, nous partageons les aspirations des uns et des autres, dès lors qu'elles sont motivées par le désir d'améliorer les conditions de vies de tous, sans mettre « nos contemporains en situation d'esclavagisme moderne [ni] notre environnement dans une situation encore plus dégradée qu'elle ne l'est déjà » , pour reprendre les termes de la céramiste Séverine Jacob interviewée dans le cadre de ce numéro. Pour autant, nous préférons être clairs : à travers ce hors-série, nous n'avons aucunement la prétention de vous révéler, tels des voyants, la manière dont nous habiterons demain. Nous n'avons pas non plus le toupet de vous dire comment le faire - hormis de faire appel à un architecte pour vos travaux !
Ballet de questionnements
« Mais alors, pourquoi un numéro “1001 idées pour habiter demain” ? » , nous direz-vous avec légitimité. La raison est simple. Comme vous, nous sommes nourris par toutes les spéculations et fantasmes actuels relatifs à l'espace domestique : l'essor du télétravail, la nécessité de construire plus durablement, de transformer pour ne pas détruire, d'imaginer des dispositifs favorisant les distances sociales, ou encore l'arrivée d'une vague numérique dans nos intérieurs. La récurrence de ces sujets dans les conversations et les médias suffit à justifier qu'on leur porte un peu d'attention. Bien sûr, la forme d'un hors-série de 196 pages, limité de par sa taille et figé dans le temps, nous a contraints à identifier des thématiques. Nous en avons sélectionné quatre : « Aménager son refuge », parce que le confinement a rendu le fait de se sentir bien « chez soi » crucial et que la question du logement en ville représente un des enjeux majeurs de notre siècle. « Se mettre au vert », parce qu'exode urbain pérenne ou non (le débat fait rage chez les spécialistes), nombreux sont ceux qui envisagent de quitter les métropoles pour la campagne, comme semblent d'ailleurs le confirmer les tendances du marché immobilier. « Agrandir sa maison », parce que beaucoup d'entre nous se sont sentis à l'étroit ces derniers mois, et que confinement ou non, transformer son logement, l'adapter à ses besoins, constitue une problématique non négligeable à l'heure où le foncier se fait de plus en plus rare… Et enfin « Réinventer la maison », parce que qui dit crises dit remises en question. D'autant plus que réinterroger ce que nous considérons comme acquis n'a jamais fait de mal… L'absence de rubrique dédiée à l'écologie, ou à celle, très en vogue, du télétravail, n'est qu'une apparence : ce sont des sujets transversaux, abordés en filigrane dans chacun des articles qui composent ce numéro. Ces quatre chapitres identifiés, nous avons enquêté, interrogeant architectes, designers, fabricants, artisans ou encore agents immobiliers, pour obtenir leur avis sur ces enjeux et comprendre comment chacun, à travers sa pratique, s'attelle à y répondre. Car, comme nous l'évoquions plus tôt, personne n'a attendu qu'un virus ne vienne ébranler nos certitudes pour se questionner. Les professionnels de l'habitat non plus, évidemment.
« FACE AU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET À SES AUXILIAIRES CANICULAIRES ET POLLUANTS FACE AUX ÉPIDÉMIES, L'ARCHITECTURE ET L'URBANISME DOIVENT SE RÉINVENTER. » Philippe Rahm, architecte
Regarder en arrière ?
En ce sens, nous nous sommes (humblement) inscrits dans les pas de Philippe Rahm, architecte, auteur de la thèse Histoire naturelle de l'architecture. Comment le climat, les épidémies et l'énergie ont façonné la ville et les bâtiments* , et commissaire d'une exposition présentée au Pavillon de l'Arsenal (Paris, 4e ). La lecture de l'histoire de l'architecture qu'il propose est passionnante, à contre-courant d'une interprétation sociale et culturelle communément admise. Par exemple, aviez-vous déjà envisagé que les tapisseries promenées de château en château par les cours du Moyen Âge servaient, en plus de leurs atours décoratifs, à isoler thermiquement les pièces ? Loin de l'anecdotique, ce que soulignent les travaux de Philippe Rahm, c'est l'actualité des stratégies employées par les architectes d'hier. Stratégies qui, adaptées, peuvent aider à répondre aux problématiques du monde contemporain. Ainsi, si l'architecture moderne a fait du blanc l'une de ses caractéristiques, c'est aussi parce que « le lait de chaux a une teinte blanche qui masque la couleur naturelle de la pierre ou de la brique des murs. On en vient donc peu à peu à associer la couleur blanche à la propreté et à la salubrité du bâti » , explique celui qui rappelle également que le blanc, de par ses propriétés réfléchissantes, renvoie les rayons du soleil et permet donc à un bâtiment de ne pas surchauffer. Aussi repeint-on les toitures des immeubles des grandes métropoles pour les « refroidir ». De là à conclure que les solutions imaginées par les architectes pendant les dernières décennies peuvent nous aider à entrevoir comment nous habiterons demain, il n'y a qu'un pas… que nous avons décidé de franchir allègrement ! Ainsi, ce hors-série se repose sur des idées d'ores et déjà mises en œuvre que nous avons sélectionnées pour vous aider à appréhender le futur. Et si jamais elles ne remplissaient pas leur mission, nous avons au moins une certitude à leur égard : elles vous permettront de vous évader, de voyager, de vous inspirer. En ces temps difficiles, c'est déjà une belle victoire.
⇒ Préambule du Hors-série 1001 idées d'architectes pour habiter demain à retrouver dès aujourd'hui en kiosque et sur la boutique en ligne !