Vous travaillez ensemble depuis plus de trente ans. Comment concevez- vous votre rôle de designer ?
Assez honnêtement, nous avons probablement plus l’âme d’inventeurs que de designers. Nous sommes en exploration constante, passionnés par l’outil et ce qu’il permet, notamment dans la production industrielle – nous ne dessinons jamais rien avant d’avoir visité l’usine ! –, avec l’ambition assumée de créer du nouveau, sans frontières disciplinaires. En tant que designers, nous avons la responsabilité de concevoir des choses qui justifient elles-mêmes leur existence, dans un monde saturé, en surproduction permanente. D’autant plus que la société, de manière générale, possède aujourd’hui des capacités technologiques qu’elle n’a jamais eues auparavant. Le digital, par exemple, est absolument partout. Est-ce que cela fait sens à chaque fois… c’est une autre question !
Le projet de robinetterie avec Axor illustre bien ce propos. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche créative que vous avez adoptée dans ce contexte ?
Oui ! La robinetterie est typiquement un monde où l’on cherche à travailler avec les technologies digitales les plus avancées. Mais pour nous, mêler autant l’eau et l’électricité ne faisait pas tant sens que cela. Que reste-t-il au corps, si nous supprimons la matérialité des choses ? À notre sens la maison intégrée, où nous contrôlons tout à la voix, représente l’effacement de la tactilité, de l’ergonomie et de la manière dont cela affecte le corps, l’effacement de ce qui permet à l’être humain d’enrichir son expérience du monde. Ainsi, ici, l’objectif du projet consistait à proposer une solution mécanique [l’eau s’ouvre et se ferme comme lorsque l’on appuie sur le petit bouton d’un stylo pour en faire sortir la mine, ndlr] à cette nouvelle manière de gérer l’eau. Si l’on pense à la chaise Tip Ton que nous avons conçue pour Vitra, la réflexion est la même. Nous avons travaillé à la gomme, en nous appuyant sur des études scandinaves sur l’ergonomie et le confort, réalisées dans les années 1960 et 1970. Le mouvement renforce la concentration lorsque l’on est assis longtemps à une table de travail. Cela stimule la circulation sanguine, et donc l’apport d’oxygène au cerveau. Donc dans ce projet, plutôt que d’aller chercher des mécanismes complexes, nous avons simplement créé un petit angle dans le dessin du piétement, à la manière d’une « rocking chair ». La chaise est mono matériaux, la production peu dispendieuse. D’autant que ce meuble est destiné à équiper des lieux d’éducation comme des universités, des écoles, etc.
Et la couleur ? Quel est son rôle ?
La couleur est un ajout intéressant à n’importe quel projet industriel. En soi, elle n’affecte pas la fonctionnalité du produit, mais elle est quand même d’une importance capitale, parce que c’est en partie elle qui lui confère une âme. Si l’on pense à notre collaboration avec Mutina, la collection Primavera est très représentative de notre approche. En tant que designers, dessiner des surfaces était compliqué pour nous. Presque en dehors de notre champ de compétences [sourires, ndlr] ! Nous nous sommes donc appuyés sur l’outil de production pour créer les carreaux dans une logique de série diversifiée. Le motif n’est pas imprimé. Nous avons mélangé des copeaux de couleur dans la poudre au début de la chaîne de pressage, ce qui créé un motif « au hasard ». Tout est teinté dans la masse. Pour nous, il s’est agi de repenser les choses depuis le départ, et de créer une histoire cohérente avec le contexte. Encore une fois, nous avons une approche holistique.