Il a presque tout dessiné, de l'arrêt de bus bigarré au tire-bouchon, en passant par la mode, l'usine Alessi, dont il fut aussi le directeur artistique, ou le musée Groningue aux Pays Bas avec Philippe Starck et Michele de Lucchi, lieu fantasque et d'une liberté créative réjouissante, pour lequel il reçoit d'ailleurs le Prix européen d'Architecture en 2015. Assumant des postures kitsch, mais toujours profondément cultivées, l'esprit alerte et frondeur, il œuvrera sa vie durant à la démythification des productions du modernisme, démontrant avec humour que le sens et la valeur d'un objet peuvent aussi tenir à sa décoration, et qu'un respect figé du passé interdit toute véritable novation dans le design.
« Mon travail ressemble probablement à ma vie. C'est une œuvre labyrinthique, une recherche incessante et un processus continu d'allers et retours, revenant sur mes propres pas, travaillant par morceaux et obtenant des résultats grâce à des bouts. »
Issu d'une famille d'esthètes collectionneurs d'art, diplômé de l'école d'architecture de Milan en 1959, il débute sa carrière au studio Nizzoli Associati, avant de prendre les rênes, en 1968, de la revue Casabella - il fondera aussi Modo, puis dirigera le magazine Domus à partir de 1979. L'Italie, dans ces années-là, bouillonne. Les créateurs, à l'instar de ses camarades Andrea Branzi où Ettore Sotsass - aux côtés de qui il participe au groupe Alchimia -, contestent la standardisation des modes de vie, la consommation outrancière, militent pour une forme d'écologie - oui, déjà ! -, rêvant de réconcilier culture populaire et culture tout court, artisanat et industrie, production de série et pièces uniques. Alessandro Mendini choisit ainsi la voie du re-design, puis du contre-design, guidé par l'idée de faire à partir du déjà-là, de le modifier, de le connoter différemment, plutôt que de produire pour produire. Il raconte, lors d'une conférence donnée au musée d'Orsay en 2014, à l'occasion de la sortie d'une anthologie de ses écrits éditée aux presses du réel : « Le design italien m'était toujours un peu passé au-dessus, mes références étaient plutôt dans la peinture. J'ai littéralement appliqué les arts. » En 1978, il synthétise cette approche dans un meuble qui restera probablement l'un de ses créations les plus iconiques : le fauteuil Proust , aujourd'hui édité par Capellini. « Je voulais réaliser un objet vraiment énigmatique, ni peinture, ni industriel, ni design, ni sculpture. Quelque chose de très mixé. J'étais particulièrement intéressé par l'idée de transformer les objets en romans, et je l'ai fait… littéralement. » Il prend alors un gros fauteuil du XVIIIe siècle, aux formes on ne peut plus baroques, qu'il recouvre de tâches de couleurs, façon pointillisme, comme un tableau de Signac. À travers cette mini synthèse des arts, il brouille les limites entre les disciplines, fait de l'upcycling avant l'heure, digère le passé pour mieux vivre au présent. Il renouvelle d'ailleurs l'opération près de 30 ans plus tard, pour la marque de montres Swatch.
« Pour moi, le design et l'architecture doivent être légers, débonnaires, moins faits de matières que de sensations et finalement de petites choses. »
Ce n'est pas Ana G ., tire-bouchon virevoltant aux allures de danseuses apprêtée qui dira le contraire. Mendini nous a quittés, donc, mais ses icônes, elles, s'affichent encore dans les catalogues des éditeurs. Alors s'il vous prenait l'envie d'en posséder une, ou deux, faites-le en conscience… et joyeusement ! Et puis lisez, aussi*.
► Article paru dans Architectures À Vivre 107 spécial Maisons particulières