Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 06/11/2013
« Theo van Doesburg a voulu créer un lieu sacré pour travailler », explique Stephan Keppel, installé à Meudon pour six mois avec sa femme et leur bébé. Ici, le plasticien peut développer tranquillement son projet photographique sur le périphérique parisien. Propriété des Pays-Bas, la maison-atelier accueille en résidence des artistes, écrivains ou architectes néerlandais afin de faire vivre l’endroit comme son concepteur l’avait imaginé.
De béton et de paille
Dans les années 1920, Paris est le cœur du monde de l’art. Après l’abandon d’un projet commun avec Jean Arp et sa femme Sophie Taeuber, Theo et Nelly van Doesburg s’installent finalement à deux rues de leurs amis. Avec l’aide d’un jeune compatriote architecte, Abraham Elzas, Theo van Doesburg travaille sur les plans de sa maison depuis la seconde moitié de 1927 jusqu’à juin 1929. Le chantier débute en octobre de la même année pour s’achever fin 1930. Deux blocs de deux niveaux, parallélépipèdes rectangles de 44 mètres carrés chacun, sont posés côte à côte, décalés d’un étage. Côté rue, au sud, le premier abrite le garage et l’habitation dont le toit-terrasse est accessible depuis le second bloc. La disposition des ouvertures sur cette façade traduit le refus de la symétrie de son concepteur, déjà lisible dans sa peinture. Comme s’il en était détaché, le mur qui masque l’escalier extérieur menant à l’entrée rappelle les écrans de la maison Schröder de Gerrit Rietveld – autre membre de De Stijl – à Utrecht (1924). Côté jardin, orienté au nord-ouest, l’atelier entièrement vitré prend place dans le cube dressé sur pilotis. La structure en béton armé de l’ensemble est complétée par des murs de solomite : des panneaux de paille comprimée, armés de fils de fer galvanisé puis recouverts d’un ciment blanc à l’extérieur et d’un plâtre à l’intérieur. Un matériau de construction et d’isolation inventé au début des années 1920 par l’ingénieur russe Serge Tchayeff, que Le Corbusier utilise au Pavillon de l’Esprit nouveau et dans l’immeuble Clarté. Écologique avant l’heure mais sensible à l’humidité…
Chant du cygne néoplasticiste
En 1917, Theo van Doesburg fonde la revue du groupe d’artistes et d’architectes d’avant-garde De Stijl et l’anime pendant dix ans. Il propose un développement dans l’espace des principes du néoplasticisme établis avec le peintre Piet Mondrian : emploi de lignes orthogonales horizontales et verticales, des trois tons primaires en aplats ainsi que du noir, du gris et du blanc, absence de symétrie. En 1930, dans un supplément à son manifeste de 1924, Vers une architecture plastique, il écrit : « La lumière crée l’espace, et la couleur est l’un des moyens élémentaires de rendre visible l’harmonie des relations architecturales. » Mais comparée au café-restaurant-ciné-dancing L’Aubette qu’il réalise en 1927 à Strasbourg, avec Jean Arp et Sophie Taeuber, où les compositions de surfaces colorées et rythmées participent à la construction, la sobriété formelle et esthétique de sa maison est frappante.
Loin de l’omniprésence des teintes primaires, habituelle chez les créateurs de De Stijl, Theo van Doesburg se contente de rehausser les portes de la façade en jaune, bleu et rouge. La forme cubique, immaculée, les pilotis, le petit auvent surmontant l’entrée, le plan libre rappellent davantage les villas du quartier-exposition du Weissenhof à Stuttgart, notamment celles de Le Corbusier. À l’intérieur, des murs gris, des plafonds blancs, quelques touches de noir, des sols en béton brut, jaune, rouge ou recouverts de compositions de carreaux et un petit vitrail. Concevant jusqu’au moindre détail, van Doesburg dessine des éléments de mobilier intégré – tables en béton brut ou laquées de jaune, placards peints en bleu – ainsi que des chaises tubulaires qui ne sont plus en place. Si certains pensent que cette simplicité est due à des préoccupations financières ou à un éventuel inachèvement, il est plus probable qu’elle relève d’un désir de pureté de son créateur, doutant d’une utilisation trop envahissante d’aplats colorés dans l’espace domestique. « La nouvelle architecture est anti-décorative », écrit-il en 1930. Cette neutralité lui permet également d’exposer sa production picturale dans son atelier.
Theo van Doesburg imagine alors faire de sa maison de Meudon un lieu d’échange créatif. Mais il meurt le 7 mars 1931 à 48 ans, quatre mois seulement après y avoir emménagé. Nelly, qui y vécut jusqu’à son décès en 1975, réalisera plus tard le souhait de son mari en y recevant de nombreux artistes.