Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 19/07/2016
Au moment de prendre sa retraite, Thomas a eu « une envie de nature ». Avec Bernard, son compagnon, ils choisissent de quitter leur appartement de Strasbourg avec l’idée de restaurer une ancienne bâtisse. Mais ils se rendent rapidement compte que cela ne leur reviendra pas plus cher de faire construire leur nouvelle résidence principale et partent finalement à la recherche d’un terrain. En ayant un coup de foudre pour un verger peuplé de vieux arbres à côté de sa commune d’origine, Thomas opère « un retour aux sources ». Sur une voie privée, cette lanière de 25 mètres sur 75, s’étire à la limite d’un village du Bas-Rhin très bien desservi, à 25 minutes en train de la capitale européenne.
Le couple demande à l’agence GENS, dont l’un des membres, l’architecte nancéien Guillaume Eckly, est le neveu de Thomas, de leur concevoir une maison de plain-pied, à toit plat et munie d’une baie vitrée reflétant le jardin. Elle devra par ailleurs comprendre une pièce fermée pour la collection de costumes folkloriques polonais de Bernard, chorégraphe ethnographe. Mais le Plan local d’urbanisme de ce village conservateur, qui impose une toiture parallèle à la rue, aux pentes très raides recouvertes de tuiles, arrête net une partie de leurs rêves. « Il a le mérite d’être cohérent ! Il relève d’un choix patrimonial fort et crée un tissu homogène de qualité. Ici, la règle c’est de faire comme son voisin », commente Guillaume Eckly.
Glissement de toit
L’architecte choisit de prendre au premier degré les réglementations et obtient le permis sans souci. « Comment assumer la tradition et y parvenir par des modes constructifs contemporains et industriels ? » : tel est l’objectif qui le guide. L’orientation des lieux facilite les décisions. Aveugle au nord, la maison tourne le dos à la rue pour s’ouvrir entièrement au sud sur le jardin par des vitrages fixes et coulissants qui vont jusqu’au bord de la façade. « Nous avons gardé notre projet tel quel mais avec un grand toit ! Avoir une petite maison pas chère avec une baie vitrée ouvrable de 11 mètres de large, abolissant les limites, c’est exceptionnel », se réjouissent les propriétaires. Pour ce poste, ils prennent d’ailleurs le parti de ne pas faire d’économies et préfèrent le bois au PVC. Par un effet de glissement vers l’avant, le toit à deux pentes très prononcées dégage au nord un discret volume bas, couvert d’une toiture plate. Celui-ci contient la pièce réservée à la collection et la salle de bains. Ce retrait provoque aussi côté sud un débord de 2,10 mètres qui protège la terrasse et l’intérieur du soleil estival. Pour des raisons budgétaires, et pour se fondre au milieu des habitations voisines, l’architecte choisit des tuiles mécaniques. Habillé d’un bardage en mélèze brut de sciage, le pignon est forme un débord de 3 mètres qui peut servir de carport. Quant à la façade ouest, en limite de parcelle, elle est simplement revêtue d’un bardage agricole en tôle d’acier galvanisé.
Un loft sous une charpente
« La maison n’est pas posée comme dans un lotissement. Elle fait partie intégrante du village auquel elle est adossée, comme si elle avait été toujours là », apprécie Thomas. Si elle se coule dans le moule, c’est pour mieux réserver son originalité du côté de l’intime. À l’intérieur, le rez-de-chaussée est traité comme un loft. L’absence de porte – une proposition de l’architecte – convient parfaitement aux habitants qui n’ont pas pour autant l’impression d’avoir la chambre dans le salon. Seuls les éléments mobiliers esquissent des séparations : bibliothèque, sauna, placards, dressing, escalier. Ils ont été réalisés par Thomas, ancien menuisier et décorateur. À l’arrière, la cuisine s’étend le long d’un mur en béton qui forme un couloir. Mais rien n’est figé : montés tous deux sur roulettes, la cuisinière et le meuble à ustensiles et épices migrent sur la terrasse les jours de fritures ! De même que la boîte du sauna s’échappe de temps en temps à l’extérieur.
Avec une hauteur sous faîtage de plus de 8 mètres, l’intégralité des fermettes industrielles qui composent la charpente est visible depuis le rez-de-chaussée. « Lorsqu’on lève les yeux, la maison explose verticalement », raconte l’architecte. « Tant qu’à faire, nous ne voulions pas de plafond du tout », ajoute Thomas. Et grâce à l’isolation par l’extérieur de 30 centimètres de ouate de cellulose, un poêle à bûches suffit pour chauffer toute l’habitation – complété par la chaleur sèche du sauna. Une mezzanine de 15 mètres carrés qui sert de bureau, de refuge pour la sieste ou de chambre d’amis, semble perchée au milieu des branches d’un arbre. Le vide de cette pièce apparaît « comme soustrait dans le fouillis de la structure », décrit l’architecte, et contraste avec la multiplication des petites sections de bois. Elle profite de la vue dégagée sur le lointain à l’est, à travers une baie vitrée inaccessible. Le pare-vapeur noir, laissé apparent derrière les voliges, donne un effet de grange investie telle quelle. « À l’agence, l’absence de finitions nous tient à cœur », explique Guillaume Eckly. Le reste de l’habitation ne comporte ni baguette ni placo, juste une peinture blanche qui laisse deviner les agglomérés des murs et un sol en béton. Les clients sont conquis par ce brutalisme mais reconnaissent que « l’esthétique de la maison ne supporte pas le superflu, elle se suffit à elle-même ». Depuis la rue, les visiteurs la confondent avec une grange et une fois dedans, une personne sur deux leur demande si les travaux sont finis. « C’est une habitation qui suscite une adhésion totale ou un rejet mais nous, depuis plus de trois ans, nous nous disons tous les jours que c’est la maison du bonheur ! », s’enthousiasment Thomas et Bernard.