À écouter Laure d’Hauteville et Pascal Odille, les fondateurs de Beirut Art Fair – la foire d’art contemporain de Beyrouth –, parler passionnément du Liban, l’on ne peut qu’imaginer bouillonnante la production artistique de ce pays. Depuis 5 ans maintenant, le tandem se bat contre vent et marées pour la faire exister aux yeux du monde, ainsi que le travail des créateurs du Moyen-Orient, du nord de l’Afrique et du sud de l’Asie. S’ils ont élu Beyrouth comme port d’attache, c’est que ce petit pays, hors des frontières duquel vivent près des deux tiers de son peuple, a toujours été le pivot entre l’Orient et l’Occident. « Le Liban a été et restera le lieu privilégié du dialogue des cultures, un creuset où les différents courants intellectuels se côtoient, se mélangent, pour créer une formidable mosaïque », explique Laure d’Hauteville. Car malgré un contexte géopolitique délicat, force est de constater la vitalité de la culture, puissant levier économique pour le pays. Les galeries s’y ouvrent aussi vite que les cafés, et paradis fiscal oblige, il y a des sous ! Tant mieux pour l’art contemporain, parce que ses artistes et ses designers, ont bien des choses à dire.
Un certain design
Pour la troisième année consécutive, une place particulière a été donnée au design, avec l’organisation d’un prix supporté par une banque d’investissement, pour valoriser les jeunes talents auprès de la communauté internationale. « Le Liban est une sorte de laboratoire pour les designers, parce que nombre de savoir-faire et de métiers artisanaux, aujourd’hui quasiment disparus du reste des sociétés du globe, perdurent, expliquait le concepteur Carlo Massoud lors d’une interview donnée l’année dernière. Pour nous aujourd’hui, le plus gros problème, outre une façon particulière de travailler en gérant tout la chaîne de production, consiste à sortir de notre pays pour montrer ce que l’on fait. » D’autant que comme le rappelle Pascal Odille : « Il n’y a pas d’industrie au Liban. » C’est donc d’un design particulier, et finalement très récent, que cette plateforme se fait l’écho. Pour la plupart formés en Europe ou aux États-Unis – l’école des Beaux-arts de Beyrouth (ALBA), enseigne les arts décoratifs depuis les années 1950 (époque à laquelle, d’ailleurs, le décorateur français Jean Royère décide d’installer ses ateliers au Liban), mais la formation en design industriel, elle, ne date par exemple que de 1999 –, ces jeunes créateurs mêlent les influences avec une aisance déconcertante.
Manifeste pragmatique
Ainsi, la designer Céline Stephan constate que la diffusion internationale des technologies de communication entraîne une dématérialisation générale des relations sociales, quelle que soit la culture, en réalisant son banc Throne of social destruction. À l’inverse, Tarek El Kassouf part de ses racines et de la situation de son pays pour imaginer la série Dark Edge. « La collection est inspirée de la ville de Beyrouth, toujours sur le fil de l’instabilité, du chaos, de la créativité et de l’adaptabilité. Elle reprend également des motifs géométriques du Moyen-Orient, et des répétitions de formes que l’on trouve dans l’architecture arabe », explique-t-il. Mais pas que, car le module qui permet de composer la série est également pensé comme une pièce reproductible industriellement permettant ensuite de multiples compositions, en vue par exemple d’une édition plus traditionnelle en Occident. Ce puzzle peut ainsi devenir table, chaise, tabouret ou même étagère. Cette même double approche est d’ailleurs également à l’oeuvre dans le travail de Wyssem Nochi, officiant au sein de l’agence We Design, qui présentait en 2014 la série D4, un module de mobilier combinable, et cette année, avec ses comparses, la lampe Vanishing point 1. Quand à Khaled El Mays, dont l’agence réalise aussi des projets d’architecture intérieure et de graphisme, il s’inscrit dans une tradition plus décorative, mais travaille avec des matériaux précieux que seuls les artisans libanais auquel il fait appel sont capables de mettre en œuvre, à l’image des séries Circus ou Rhizome. Et pour découvrir le reste ? Ne reste plus qu’à sauter dans un avion, puis se laisser envoûter par la capitale du pays du Cèdre.